Le 19 juin 2006
       Lexicologie juridique...
 

J’ai eu le plaisir d'écrire ce matin à Monsieur Dico la lettre que voici :

« Cher Monsieur Mercier,

« Fidèle lecteur de votre rubrique, j’ai sursauté en lisant celle que vous avez consacrée dans La Libre du jeudi 8 juin aux "Contrats programmes". Non seulement parce que le terme figurait au pluriel, alors qu’il n’y a généralement qu’un programme par contrat, mais surtout en vous voyant écrire que "À première vue ... il n’existe pas de différence fondamentale entre un contrat et une convention".

« Présomptueux, j’ai espéré pouvoir vous venir en aide : d’après le souvenir que je garde des cours donnés à la faculté de droit de l’université de Gand par le Professeur Jean Limpens (il enseignait simultanément à l’ULB, tout comme cet autre grand professeur qu’était Jean Van Houtte, par ailleurs ancien Premier ministre et ministre des Finances enseignait dans les deux langues à Gand et à Liège), le contrat est une espèce de convention, à savoir celle qui a pour objet la création d’une obligation.

« Mes rapides recherches ne sont cependant pas venues secourir ma mémoire. Je n’ai ainsi pas retrouvé cette distinction dans les Principes élémentaires de droit civil belge (en quinze volumes !), du savant Henri De Page, qui observe cependant que le code civil confond les termes contrat et obligation. Mon Dictionnaire de la langue française de Littré, éd. 1873, qualifie de contrat l’"accord de deux ou plusieurs volontés, qui a pour objet la création ou l’extinction d’une obligation", ce qui n’aide guère, encore que les conventions puissent avoir un objet distinct, comme de nover un accord existant. Quant à mon Dictionnaire de l’Académie française de 1879, il définit le contrat comme "convention, pacte, traité entre deux ou plusieurs personnes, rédigé par écrit, sous l’autorité publique", tout en signalant que, dans une signification plus étendue, le terme "se prend quelquefois pour toute convention faite entre deux ou plusieurs personnes…".

« Sans doute cette recherche mériterait-elle d’être poursuivie dans les Coups de règle que publie régulièrement le Journal des Tribunaux depuis 1945, consacrés tant à la langue courante du Palais qu’au langage juridique. Dans ma bibliothèque personnelle ne figure pas la collection entière du Journal, mais le recueil publié sous le même titre de Coups de règle par Rhadamanthe chez Larcier en 1999. Trois textes s’y rapportent à l’une ou l’autre forme de "convenir" qui mériteraient de retenir votre attention à l’intention de votre public.


 



 

 

 

 

 


 


 

 

« Les parties "sont convenues" ou "ont convenu" ? L’un ou l’autre se dit, ou se disent, mais pas indifféremment : "Convenir, rappelle (à la p. 76), en citant Grevisse, Tertius, l’auteur de ce billet, se conjugue avec avoir quand il signifie ‘être approprié à, plaire à, être à propos’. Avec être, quand il signifie, soit ‘reconnaître la vérité de, admettre la vérité de, admettre’, soit ‘tomber d’accord, faire un accord’".

« Qu’est-ce qu’un "consensus" ? Le même Tertius (à la p. 185) opine qu’il faudrait lui préférer "accord, plus bref, mieux sonnant, moins dubitatif, et où le radical ‘cor’ (cœur) prend la place de ‘sensus’ (sens)". Mais précisément le consensus ne se caractérise-t-il pas par son caractère douteux, en ce qu’il donne l’apparence d’un accord qui ne résulte en réalité que du flou dans lequel il baigne, et qui permet instantanément à chaque partie d’en donner l’interprétation qui lui convient ?

« Enfin, rappelle encore Tertius (à la p. 135), on ne dit pas "contrat de bail", mais "bail" : le bail est une espèce de contrat, comme le vente ou le prêt…

« Revenant à une autre de vos rubriques, du 9 janvier, je saisis l’occasion pour vous dire combien je déplore que la "Cour de cass" ait décidé de "causer cool" : croyez moi, ses arrêts n’en sont pas devenus plus lisibles ! Comme l’écrit Pierre Mimin, dans son superbe ouvrage sur Le style des jugements (Librairies Techniques, 1970) : "Dans les décisions de prétoire, il faut nécessairement et hardiment introduire les termes juridiques créés pour des situations, des actes ou des buts que, seuls, ils peuvent représenter avec exactitude" (n° 9, p. 32).

« A propos : à quand une édition complète de vos billets ? Elle se fait tant attendre depuis 2000 et Le Français tel qu’il se parle en Belgique !

« Cher Monsieur Mercier, merci pour le plaisir que vous nous donnez quotidiennement dans le journal. »















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