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J’ai eu le plaisir d'écrire
ce matin à Monsieur Dico la lettre que voici :
« Cher Monsieur Mercier,
« Fidèle lecteur de votre
rubrique, j’ai sursauté en lisant celle que vous
avez consacrée dans La Libre du jeudi 8 juin aux
"Contrats programmes". Non seulement parce que le terme
figurait au pluriel, alors qu’il n’y a généralement
qu’un programme par contrat, mais surtout en vous voyant
écrire que "À première vue ... il n’existe
pas de différence fondamentale entre un contrat et une
convention".
« Présomptueux, j’ai
espéré pouvoir vous venir en aide : d’après
le souvenir que je garde des cours donnés à la faculté
de droit de l’université de Gand par le Professeur
Jean Limpens (il enseignait simultanément à l’ULB,
tout comme cet autre grand professeur qu’était Jean
Van Houtte, par ailleurs ancien Premier ministre et ministre des
Finances enseignait dans les deux langues à Gand et à
Liège), le contrat est une espèce de convention,
à savoir celle qui a pour objet la création d’une
obligation.
« Mes rapides recherches ne sont
cependant pas venues secourir ma mémoire. Je n’ai
ainsi pas retrouvé cette distinction dans les Principes
élémentaires de droit civil belge (en quinze
volumes !), du savant Henri De Page, qui observe cependant que
le code civil confond les termes contrat et obligation. Mon Dictionnaire
de la langue française de Littré, éd.
1873, qualifie de contrat l’"accord de deux ou plusieurs
volontés, qui a pour objet la création ou l’extinction
d’une obligation", ce qui n’aide guère,
encore que les conventions puissent avoir un objet distinct, comme
de nover un accord existant. Quant à mon Dictionnaire
de l’Académie française de 1879, il définit
le contrat comme "convention, pacte, traité entre
deux ou plusieurs personnes, rédigé par écrit,
sous l’autorité publique", tout en
signalant que, dans une signification plus étendue, le
terme "se prend quelquefois pour toute convention faite entre
deux ou plusieurs personnes…".
« Sans doute cette recherche mériterait-elle
d’être poursuivie dans les Coups de règle
que publie régulièrement le Journal des Tribunaux
depuis 1945, consacrés tant à la langue courante
du Palais qu’au langage juridique. Dans ma bibliothèque
personnelle ne figure pas la collection entière du Journal,
mais le recueil publié sous le même titre de Coups
de règle par Rhadamanthe chez Larcier en 1999. Trois
textes s’y rapportent à l’une ou l’autre
forme de "convenir" qui mériteraient de retenir
votre attention à l’intention de votre public.
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« Les
parties "sont convenues" ou "ont convenu" ?
L’un ou l’autre se dit, ou se disent, mais pas indifféremment
: "Convenir, rappelle (à la p. 76), en citant Grevisse,
Tertius, l’auteur de ce billet, se conjugue avec avoir quand
il signifie ‘être approprié à, plaire
à, être à propos’. Avec être, quand
il signifie, soit ‘reconnaître la vérité
de, admettre la vérité de, admettre’, soit ‘tomber
d’accord, faire un accord’".
« Qu’est-ce qu’un
"consensus" ? Le même Tertius (à la p. 185)
opine qu’il faudrait lui préférer "accord,
plus bref, mieux sonnant, moins dubitatif, et où le radical
‘cor’ (cœur) prend la place de ‘sensus’
(sens)". Mais précisément le consensus ne se
caractérise-t-il pas par son caractère douteux, en
ce qu’il donne l’apparence d’un accord qui ne
résulte en réalité que du flou dans lequel
il baigne, et qui permet instantanément à chaque partie
d’en donner l’interprétation qui lui convient
?
« Enfin, rappelle encore Tertius
(à la p. 135), on ne dit pas "contrat de bail",
mais "bail" : le bail est une espèce de contrat,
comme le vente ou le prêt…
« Revenant à une autre de vos rubriques, du 9 janvier,
je saisis l’occasion pour vous dire combien je déplore
que la "Cour de cass" ait décidé de "causer
cool" : croyez moi, ses arrêts n’en sont pas devenus
plus lisibles ! Comme l’écrit Pierre Mimin, dans son
superbe ouvrage sur Le style des jugements (Librairies
Techniques, 1970) : "Dans les décisions de prétoire,
il faut nécessairement et hardiment introduire les termes
juridiques créés pour des situations, des actes ou
des buts que, seuls, ils peuvent représenter avec exactitude"
(n° 9, p. 32).
« A propos : à quand une édition complète
de vos billets ? Elle se fait tant attendre depuis 2000 et Le
Français tel qu’il se parle en Belgique !
« Cher Monsieur Mercier, merci pour le plaisir que vous nous
donnez quotidiennement dans le journal. »
Points
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