Le 22 août 2006
       Faillites et contrats en cours
 

Il n’est pas rare que des interprétations de textes légaux acquises de temps immémoriaux soient remises en cause par une relecture occasionnelle mais distraite de ceux-ci, apte à prêter à controverse, non seulement sur la portée exacte de la disposition en cause mais encore sur le fond : tel est le cas de la portée de l’option conférée au curateur de faillite par l’article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites à propos des contrats en cours.

Il a toujours été reçu :

- que la faillite n’entraîne pas la dissolution des contrats en cours au jour du jugement déclaratif, sauf lorsque ceux-ci sont conclus intuitu personae ou contiennent une clause résolutoire expresse ;

- que le curateur peut choisir d’exécuter ou de ne pas exécuter les contrats en cours, selon l’intérêt de la masse et sans préjudice au droit du cocontractant de déclarer au passif dans la masse les dommages que lui cause l’inexécution.

L’intention des rédacteurs de l’article 46 précité n’était certainement pas de se départir de cette solution traditionnelle, mais bien de compléter celle-ci en couvrant l’hypothèse où le curateur demeure passif, et de trancher la question précédemment controversée de la mesure du caractère de dette de ou dans la masse de l’indemnité de résiliation éventuellement due au co-contractant.

Jusqu’ici les droits du curateur paraissaient s’arrêter à cela : doctrine et jurisprudence considéraient unanimement que le curateur n’avait, par rapport aux contrats en cours, pas plus de droits que ceux dont disposait le débiteur avant la faillite ; la faculté qui lui était reconnue de ne pas exécuter les contrats en cours ne lui conférait pas un droit de résiliation sui generis qui lui aurait permis de mettre fin à ces contrats en dehors des stipulations conventionnelles ou dispositions légales applicables qui auraient du être respectées par le failli.








 

Là-dessus intervint le 24 juin 2004 un arrêt de la Cour de cassation, rendu sur l’avis contraire du ministère public et dans des termes prêtant à ambiguïté de sorte qu’il fut publié à la Revue de droit commercial belge (2005, p. 241 et s.), accompagné de deux notes, l’une de ma part et de celle de mon confrère et ami Cédric Alter, qui en proposait une lecture fidèle à l’enseignement de la doctrine et de la jurisprudence traditionnelles, et l’autre, diamétralement opposée, de M. Chr. Van Buggenhout et Mme I. Van de Mierop, considérant que, dans un souci d’efficacité, l’arrêt octroyait aux curateurs le droit de « résilier et de rompre » unilatéralement tout contrat liant le failli, et ce sans frais à charge de la masse, les indemnités devant être déclarées au passif.

Depuis ledit arrêt de la cour suprême, de nouveaux éléments sont intervenus, qui justifiaient de faire à nouveau le point sur cette problématique. Outre plusieurs commentaires doctrinaux, la Cour de cassation et la cour d’appel de Bruxelles, dans des décisions datées des 11 avril 2005 et 11 mai 2005, ont abordé la question de l’autonomie du droit des faillites par rapport à des lois particulières, en l’occurrence celles sur les baux commerciaux et les baux à ferme. Par ailleurs, une loi datée du 15 juillet 2005 a inséré un nouveau paragraphe à l’article 46 L.F. consacré spécifiquement à la problématique des contrats de travail. Ce nouveau texte, lu à la lumière des débats parlementaires qui lui ont été consacrés, apporte également un éclairage nouveau sur la portée générale de l’option visée à l’article 46 L.F. Une disposition de l’avant-projet de loi sur la continuité des entreprises au sujet de la même problématique mérite également de retenir l’attention.

C’est ce qui explique que Me Cédric Alter et moi-même ayons mis les vacances à profit pour rédiger une nouvelle contribution sur ce thème, que nous venons d’envoyer au Journal des Tribunaux où elle devrait être publiée en septembre.

Pour la facilité des lecteurs de cet article en attente de publication, je propose ici une traduction française de l’arrêt précité de la cour d’appel de Bruxelles du 11 mai 2005, publié uniquement jusqu’ici en néerlandais.

 









Points d'actualité antérieurs
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Faillite et fin de bail à ferme
Bruxelles, 11 avril 2005

                         

Faillite du bailleur à ferme – Article 46 L.F. – Application aux contrats en cours régis par la législation sur le bail à ferme – Compétence.

Le pouvoir du curateur de décider par application de l’article 46 L.F. d’exécuter ou de ne pas exécuter les contrats en cours porte sur toutes les conventions opposables à la masse souscrites par le failli, que celles-ci soient ou non régies par des dispositions légales impératives. La loi sur les baux à ferme ne fait dès lors pas obstacle à l’application de cet article.

La contestation issue de la volonté du curateur de mettre fin à un contrat en cours par application de l’article 46 L.F., fût-il un bail de ferme, relève de la compétence du tribunal de commerce plutôt que du juge de paix.


(Me D., curateur à la faillite de la s.a. B. c/ S.V., L.P. et G.L.)
(Avocats : Me K. Vanstipelen et Me A. Van Keer)

L’objet de l’appel

(...)

4. A la requête de l’intimé S.V., l’avocat D. fut cité le 27 mai 1999 devant le juge de paix de T. en sa qualité de curateur à la faillite de la s.a. B.

L’action de l’intimé tend à entendre dire que le curateur est tenu de reconnaître ses droits à ferme sur des terres agricoles appartenant à la société faillie et de les signaler aux candidats-acquéreurs, et qu’en cas de vente publique le notaire est lui aussi tenu de faire état de leur existence.

5. (Compte tenu des griefs formulés par les intimés, le notaire déjà chargé de procéder à la vente publique des terres en cause à la suite de la déclaration de faillite du 14 juillet 1998 …) établit le 24 juin 1999 un procès-verbal, qu’il déposa au greffe de la justice de paix du canton de T.

6. Par jugement du 19 mars 2001 le juge de paix ordonna la jonction des deux causes et les déféra au tribunal de la faillite de Louvain, considérant que la solution du litige résidait dans le droit particulier qui concerne le régime des faillites. (…)

Plus particulièrement, l’application de l’article 46 était réclamée par le curateur.

7. Les intimés (…) conclurent comme suit devant le tribunal de commerce :

- le curateur ne peut mettre fin aux baux à ferme en cours sans tenir compte de la loi sur les baux à ferme ;

- lorsque le curateur veut mettre fin aux contrats en cours, il est tenu de respecter les dispositions légales applicables à ces contrats : il doit donner congé et respecter les délais de préavis imposés par la loi sur le bail à ferme ;

- au cas où le tribunal déciderait que le curateur peut rompre les baux à ferme et que les terres affermées doivent être quittées, il y aurait lieu, dans l’attente de l’indemnisation de fin de bail, de condamner le curateur à payer un acompte de 130.000 F.B. (actuellement 3.222,62) € l’hectare, à défaut duquel les terres ne devront pas être quittées ;

- il y a lieu de désigner comme expert un ingénieur agricole avec mission de déterminer (les sommes légalement dues par le bailleur en fin de bail).

8. Le curateur (… postula …) qu’il soit dit pour droit que les baux à ferme conclus avec les parties S.V. et G.L. avaient pris fin depuis la date de la faillite et que les biens en cause pouvaient être vendus pour quittes et libres de bail et fermage (…et que …) la demande de payement d’un acompte et de désignation d’un expert soit rejetée (…).

9. Le jugement dont appel reçoit les actions et les déclare fondées dans la mesure suivante :

- les baux à ferme conclus entre la s.a. B. et les parties S.V. et G.L. ne sont pas terminés et ces dernières ont toujours la qualité de preneur ;

- l’article 46 de la loi sur les faillites n’implique pas que le curateur puisse mettre fin à un bail à ferme en cours sans tenir compte de la législation sur les baux à ferme ;

- au cas où le curateur souhaite mettre fin aux baux en cours, il doit reconnaître et respecter les droits à ferme de S.V. et G.L. : il est tenu de se conformer aux dispositions légales impératives, de donner congé et de respecter le délai de préavis prévu dans la loi sur le bail à ferme ;

- les frais sont délaissés à charge de la masse faillie.

10. Devant la cour, le curateur et les intimés s’en tiennent à leurs points de vue et actions (…).

Appréciation

11. La société anonyme faillie B est propriétaire de dix biens immobiliers, dont (les terres occupées par les intimés …).

12. Suivant la déclaration de faillite de la s.a. B en date du 14 juillet 1998, le curateur a notifié par lettre recommandée du 24 juillet 1998 à la partie S.V. qu’il ne poursuivait pas le bail.

Il l’invita à évacuer les bâtiments et terres.

Par lettre du 8 juin 1999 le curateur notifia une décision analogue à la Mme G.L.

Nonobstant des mises en demeure répétées aucun des deux preneurs n’y réservèrent la suite souhaitée.

13. Le juge-commissaire accorda le 13 janvier 1999 autorisation de procéder à la vente publique des dix biens immobiliers.

Les parties S.V. et G.L. s’élevèrent contre la mention dans les conditions de vente que les parcelles étaient libres de bail et de fermage et le signalèrent au notaire H.

Depuis la liquidation de la faillite a été suspendue.

(…)

17. En vertu de l’article 574, 2° du code judiciaire, les actions et contestations qui découlent directement de la faillite et dont les éléments de solution résident dans le droit particulier qui est concerne le régime de la faillite ressortissent à la compétence du tribunal de commerce, même si les parties ne sont pas commerçantes.

En l’espèce la contestation est issue du fait que le curateur a pour mission de liquider les actifs de la s.a. B. en faillite.

A cet effet il souhaite faire application de la possibilité que lui donne l’article 46 de la loi sur les faillites en matière d’exécution ou d’inexécution des contrats en cours, en l’espèce des baux à ferme.

La solution de cette contestation ne réside dès lors pas dans la loi sur les baux à ferme mais exclusivement dans le droit particulier qui régit la faillite.

C’est à raison que le juge de paix s’est estimé incompétent et l’action du curateur est recevable.

(…)

19. Le pouvoir que le curateur puise dans l’article 46 de la loi sur les faillites concerne toutes les conventions opposables à la masse qui ont été conclues par le failli.

Il est cependant limité à ce qu’exigent la bonne administration de la masse et le respect du principe d’égalité entre créanciers (Cass., 24 juin 2004, en cause C.020416.N, www.juridat.be).

Il n’y a pas de motif d’utiliser ce pouvoir lorsque l’exécution de la convention ne fait pas obstacle à la liquidation normale. En revanche l’exercice de ce pouvoir est justifié lorsque la gestion de la masse en bon père de famille l’exige.

20. Que la convention en cause soit ou non régie par des dispositions légales de nature impérative, il peut y être mis fin par le curateur sous les réserves précitées.

Le droit à ferme ne peut donc faire obstacle à ce que le curateur mette fin à une convention.

21. En l’espèce le curateur a décidé dans les dix jours de l’ouverture de la faillite, le 24 juillet 1998, qu’il n’exécuterait pas le bail à ferme conclu par la s.a. B. avec l’intimé S.V.

A l’égard de la partie G.L. sa décision a été prise beaucoup plus tard, le 8 juin 1999, parce qu’il ignorait l’existence du bail à ferme portant sur la pâture.

Les deux intimés ont refusé de s’incliner devant cette décision, mais ne contestent pas que celle-ci ait été prise sans délai, aussitôt connue par le curateur l’existence de ces conventions.

22. A l’appui de la légitimité de sa décision le curateur soutient qu’elle fut prise dans l’intérêt de la masse, sans cependant apporter quelqu’éclaircissement quant à ce.

Il ne souffre cependant aucun doute que le fait que des parcelles agricoles fassent l’objet d’un bail à ferme ait un impact négatif substantiel sur le prix offert pour celles-ci.

Le curateur peut dès lors poser à juste titre que l’intérêt de la masse, et donc son administration en bon père de famille, justifie en droit que l’exécution des baux à ferme ne soit pas poursuivie.

Les décisions du curateur en ce sens des 24 juillet 1998 et 8 juin 1999 sont justifiées.

(…)

PAR CES MOTIFS,
LA COUR ,

(…)

Valide les décisions du curateur des 24 juillet 1998 et 8 juin 1999 de ne pas exécuter les baux à ferme litigieux.

Dit que les biens immobiliers qui faisaient l’objet de ces baux peuvent être vendus quittes et libres de bail et de fermage

(…)