Faillite
et fin de bail à ferme
Bruxelles,
11 avril 2005
Faillite du
bailleur à ferme – Article 46 L.F. – Application
aux contrats en cours régis par la législation
sur le bail à ferme – Compétence.
Le pouvoir du
curateur de décider par application de l’article
46 L.F. d’exécuter ou de ne pas exécuter
les contrats en cours porte sur toutes les conventions opposables
à la masse souscrites par le failli, que celles-ci
soient ou non régies par des dispositions légales
impératives. La loi sur les baux à ferme ne
fait dès lors pas obstacle à l’application
de cet article.
La contestation
issue de la volonté du curateur de mettre fin à
un contrat en cours par application de l’article 46
L.F., fût-il un bail de ferme, relève de la compétence
du tribunal de commerce plutôt que du juge de paix.
(Me D., curateur à la faillite de la s.a. B. c/ S.V.,
L.P. et G.L.)
(Avocats : Me K. Vanstipelen et Me A. Van Keer)
L’objet
de l’appel
(...)
4. A la requête
de l’intimé S.V., l’avocat D. fut cité
le 27 mai 1999 devant le juge de paix de T. en sa qualité
de curateur à la faillite de la s.a. B.
L’action de
l’intimé tend à entendre dire que le curateur
est tenu de reconnaître ses droits à ferme sur
des terres agricoles appartenant à la société
faillie et de les signaler aux candidats-acquéreurs,
et qu’en cas de vente publique le notaire est lui aussi
tenu de faire état de leur existence.
5. (Compte tenu des
griefs formulés par les intimés, le notaire
déjà chargé de procéder à
la vente publique des terres en cause à la suite de
la déclaration de faillite du 14 juillet 1998 …)
établit le 24 juin 1999 un procès-verbal, qu’il
déposa au greffe de la justice de paix du canton de
T.
6. Par jugement du
19 mars 2001 le juge de paix ordonna la jonction des deux
causes et les déféra au tribunal de la faillite
de Louvain, considérant que la solution du litige résidait
dans le droit particulier qui concerne le régime des
faillites. (…)
Plus particulièrement,
l’application de l’article 46 était réclamée
par le curateur.
7. Les intimés
(…) conclurent comme suit devant le tribunal de commerce
:
- le curateur ne peut
mettre fin aux baux à ferme en cours sans tenir compte
de la loi sur les baux à ferme ;
- lorsque le curateur
veut mettre fin aux contrats en cours, il est tenu de respecter
les dispositions légales applicables à ces contrats
: il doit donner congé et respecter les délais
de préavis imposés par la loi sur le bail à
ferme ;
- au cas où
le tribunal déciderait que le curateur peut rompre
les baux à ferme et que les terres affermées
doivent être quittées, il y aurait lieu, dans
l’attente de l’indemnisation de fin de bail, de
condamner le curateur à payer un acompte de 130.000
F.B. (actuellement 3.222,62) € l’hectare, à
défaut duquel les terres ne devront pas être
quittées ;
- il y a lieu de désigner
comme expert un ingénieur agricole avec mission de
déterminer (les sommes légalement dues par le
bailleur en fin de bail).
8. Le curateur (…
postula …) qu’il soit dit pour droit que les baux
à ferme conclus avec les parties S.V. et G.L. avaient
pris fin depuis la date de la faillite et que les biens en
cause pouvaient être vendus pour quittes et libres de
bail et fermage (…et que …) la demande de payement
d’un acompte et de désignation d’un expert
soit rejetée (…).
9. Le jugement dont
appel reçoit les actions et les déclare fondées
dans la mesure suivante :
- les baux à
ferme conclus entre la s.a. B. et les parties S.V. et G.L.
ne sont pas terminés et ces dernières ont toujours
la qualité de preneur ;
- l’article
46 de la loi sur les faillites n’implique pas que le
curateur puisse mettre fin à un bail à ferme
en cours sans tenir compte de la législation sur les
baux à ferme ;
- au cas où
le curateur souhaite mettre fin aux baux en cours, il doit
reconnaître et respecter les droits à ferme de
S.V. et G.L. : il est tenu de se conformer aux dispositions
légales impératives, de donner congé
et de respecter le délai de préavis prévu
dans la loi sur le bail à ferme ;
- les frais sont délaissés
à charge de la masse faillie.
10. Devant la cour,
le curateur et les intimés s’en tiennent à
leurs points de vue et actions (…).
Appréciation
11. La société
anonyme faillie B est propriétaire de dix biens immobiliers,
dont (les terres occupées par les intimés …).
12. Suivant la déclaration
de faillite de la s.a. B en date du 14 juillet 1998, le curateur
a notifié par lettre recommandée du 24 juillet
1998 à la partie S.V. qu’il ne poursuivait pas
le bail.
Il l’invita
à évacuer les bâtiments et terres.
Par lettre du 8 juin
1999 le curateur notifia une décision analogue à
la Mme G.L.
Nonobstant des mises
en demeure répétées aucun des deux preneurs
n’y réservèrent la suite souhaitée.
13. Le juge-commissaire
accorda le 13 janvier 1999 autorisation de procéder
à la vente publique des dix biens immobiliers.
Les parties S.V. et
G.L. s’élevèrent contre la mention dans
les conditions de vente que les parcelles étaient libres
de bail et de fermage et le signalèrent au notaire
H.
Depuis la liquidation
de la faillite a été suspendue.
(…)
17. En vertu de l’article
574, 2° du code judiciaire, les actions et contestations
qui découlent directement de la faillite et dont les
éléments de solution résident dans le
droit particulier qui est concerne le régime de la
faillite ressortissent à la compétence du tribunal
de commerce, même si les parties ne sont pas commerçantes.
En l’espèce
la contestation est issue du fait que le curateur a pour mission
de liquider les actifs de la s.a. B. en faillite.
A cet effet il souhaite
faire application de la possibilité que lui donne l’article
46 de la loi sur les faillites en matière d’exécution
ou d’inexécution des contrats en cours, en l’espèce
des baux à ferme.
La solution de cette
contestation ne réside dès lors pas dans la
loi sur les baux à ferme mais exclusivement dans le
droit particulier qui régit la faillite.
C’est à
raison que le juge de paix s’est estimé incompétent
et l’action du curateur est recevable.
(…)
19. Le pouvoir que
le curateur puise dans l’article 46 de la loi sur les
faillites concerne toutes les conventions opposables à
la masse qui ont été conclues par le failli.
Il est cependant limité
à ce qu’exigent la bonne administration de la
masse et le respect du principe d’égalité
entre créanciers (Cass., 24 juin 2004, en cause C.020416.N,
www.juridat.be).
Il n’y a pas
de motif d’utiliser ce pouvoir lorsque l’exécution
de la convention ne fait pas obstacle à la liquidation
normale. En revanche l’exercice de ce pouvoir est justifié
lorsque la gestion de la masse en bon père de famille
l’exige.
20. Que la convention
en cause soit ou non régie par des dispositions légales
de nature impérative, il peut y être mis fin
par le curateur sous les réserves précitées.
Le droit à
ferme ne peut donc faire obstacle à ce que le curateur
mette fin à une convention.
21. En l’espèce
le curateur a décidé dans les dix jours de l’ouverture
de la faillite, le 24 juillet 1998, qu’il n’exécuterait
pas le bail à ferme conclu par la s.a. B. avec l’intimé
S.V.
A l’égard
de la partie G.L. sa décision a été prise
beaucoup plus tard, le 8 juin 1999, parce qu’il ignorait
l’existence du bail à ferme portant sur la pâture.
Les deux intimés
ont refusé de s’incliner devant cette décision,
mais ne contestent pas que celle-ci ait été
prise sans délai, aussitôt connue par le curateur
l’existence de ces conventions.
22. A l’appui
de la légitimité de sa décision le curateur
soutient qu’elle fut prise dans l’intérêt
de la masse, sans cependant apporter quelqu’éclaircissement
quant à ce.
Il ne souffre cependant
aucun doute que le fait que des parcelles agricoles fassent
l’objet d’un bail à ferme ait un impact
négatif substantiel sur le prix offert pour celles-ci.
Le curateur peut dès
lors poser à juste titre que l’intérêt
de la masse, et donc son administration en bon père
de famille, justifie en droit que l’exécution
des baux à ferme ne soit pas poursuivie.
Les décisions
du curateur en ce sens des 24 juillet 1998 et 8 juin 1999
sont justifiées.
(…)
PAR CES MOTIFS,
LA COUR ,
(…)
Valide les décisions
du curateur des 24 juillet 1998 et 8 juin 1999 de ne pas exécuter
les baux à ferme litigieux.
Dit que les biens
immobiliers qui faisaient l’objet de ces baux peuvent
être vendus quittes et libres de bail et de fermage
(…)
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