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On n’attendra pas d’un ancien membre du gouvernement
fédéral chargé notamment de la lutte contre
la grande fraude fiscale, qu’il approuve la tenue de comptes
occultes ouverts par les banques des paradis fiscaux pour aider
des contribuables étrangers à éluder irrégulièrement
l’impôt ! Loin de moi cette idée.
L’affaire de la LGT Bank, le groupe
de gestion de patrimoine de la maison princière du Liechtenstein,
appelle cependant diverses observations.
1) Est-il admissible de fonder des poursuites
sur la corruption d’un ancien employé de cette banque,
organisée par les services secrets allemands ? Car c’est
bien cela que constitue l’achat - pour un montant qui dépasserait
les 4 millions d’euros - de listes de titulaires de fondations
anonymes gérées par cette institution ! Peut-on
accepter, même pour la bonne cause, qu’un Etat se
rende complice d’une divulgation de secrets d’entreprise
pénalement sanctionnée ? Pour ce qui concerne la
Belgique, faut-il autoriser l’utilisation de pièces
obtenues par corruption et par recel ? Où irait-on dans
pareille hypothèse ?
Il y a quelques jours à peine,
on apprenait que le tribunal correctionnel de Liège avait
renvoyé des poursuites à sa charge le Dr. Mouton,
accusé en 2001 de complicité de dopage de sportifs
et placé sous mandat d’arrêt pendant cinq mois,
en jugeant ces poursuites irrecevables. Motif : l’ensemble
de la procédure était fondée sur un moyen
illégal, à savoir la dénonciation originelle
à charge du Dr. Mouton par un autre médecin, en
violation du secret professionnel de ce dernier.
Le principe suivi par le tribunal liégeois
est absolu et s’applique quel que soit le plaignant, fut-il
une administration publique. Si le fisc se prêtait à
pareille pratique, il me paraîtrait aussi blâmable
que le contribuable. On sait que dans l’affaire KBLux, le
fisc belge a refusé d’acheter les données
qui lui étaient proposées ; voilà, me semble-t-il,
une attitude plus conforme aux principes de bonne administration.
Et j’applaudis Frank Philipsen, mon ancien chef de cabinet,
aujourd’hui patron de l’Inspection spéciale
des impôts, qui, d’après La Libre Entreprise
de samedi dernier, a déclaré : « Je ne
connais pas les conditions par lesquelles les pays voisins ont
obtenu ces listes. Ce que je sais, c’est que je ne travaille
pas avec les services secrets ».
2) Que de nombreux contribuables de tous horizons
disposent de comptes clandestins au Liechtenstein n’est
pas une surprise ! Ce qui l’est plus, c’est que certains
responsables politiques paraissent s’en offusquer alors
qu’ils auraient pu, depuis longtemps, prendre des mesures
plus énergiques pour mettre un terme à ces pratiques.
Pourquoi l’Allemagne, qui se déclare
aujourd’hui déterminée à mettre la
pression sur des pays comme le Liechtenstein, s’en est-elle
abstenue jusqu’à présent ? On ne me dira pas
que ce géant économique et ses associés au
sein de l’OCDE ne disposent pas de la puissance suffisante
pour exercer la pression nécessaire ? Pourquoi a-t-il été
aussi difficile de négocier l’accord européen
sur la fiscalité de l’épargne ? Et pourquoi
s’est-on arrêté aux intérêts de
l’épargne, laissant notamment de côté
les revenus des produits d’assurance et des dividendes ?
Je ne puis me défaire de l’impression que les autorités
allemandes ne cherchent aujourd’hui autre chose qu’à
reporter sur des boucs émissaires les exigences outrancières
de taxation à 80% de la fortune que fait actuellement valoir
l’extrême gauche de ce pays ou la remise en cause,
plus compréhensible, des primes indécentes consenties
à des dirigeants de grosses entreprises, souvent sans autre
but que d’acheter leur silence.
Chez nous aussi, certains parlementaires
populistes fusillent « les riches », en oubliant que
l’ingénierie fiscale permet à ceux qui en
ont les moyens de se mettre en toute impunité à
l’abri du fisc et que ce sont souvent les classes laborieuses,
plutôt que les fortunées, qui, pour des motifs divers
pas toujours illicites, placent leurs économies à
l’étranger. Chaque Etat est d’ailleurs le paradis
de son voisin : voyez la chaleur avec laquelle nous accueillons
nos voisins du Nord et du Sud qui fuient l’impôt sur
la fortune en prenant ici une résidence qui est souvent
fort proche de la fictivité.
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3) Le maintien de certaines
situations frauduleuses n’est pas étranger, du moins
chez nous, à l’échec de la DLU, qui n’a
rapporté en gros qu’un demi milliard d’euros
sur les 850 prévus. Lorsque j’avais pris l’initiative
de proposer une mesure d’amnistie fiscale en 2002, dans
le livre-interview que Patrick Van Campenhout a publié
chez Luc Pire sous le titre Le commissaire passe aux aveux, j’avais
fondé mes espoirs sur le succès de l’exemple
italien. Dans notre pays le P.S. a cependant tout fait pour saboter
la DLU, qui a été condamnée par des conditions
absurdes et une insécurité juridique totale. D’où
sans doute, malgré les efforts de Didier Reynders, cette
estimation, que je trouve surprenante tant elle est basse et dont
je laisse la paternité à Thierry Afschrift, que
ce ne serait que moins de 10% des capitaux expatriés qui
seraient rentrés en Belgique dans le cadre de la DLU. J’ai
souvent dit, et je répète, que ce n’est qu’avec
un système fiscal et un niveau d’impôt correct
que la fuite des capitaux pourra être arrêtée.
4) On ne le soulignera jamais assez : pour entraîner
l’adhésion générale dans la lutte contre
la fraude fiscale, il faut réconcilier les citoyens avec
leur fiscalité. Ce qui suppose non seulement un niveau
d’imposition acceptable, mais aussi des pratiques administratives
très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.
Il faut aussi faire respecter l’autorité, ce dont
on est loin quand on voit l’issue de la « saga Sagawé
», dans laquelle la Région wallonne a tergiversé
depuis vingt ans avant d’abattre une maison construite sans
permis, et dont le ministre responsable vient par pur populisme
de retarder la sanction jusqu’au décès des
coupables ! Ou encore l’histoire de ce SDF qui s’est
construit en toute impunité un petit habitat sur le trottoir
jouxtant le palais royal de Laeken et que la Ville de Bruxelles
n’ose pas expulser. Et imaginer des sanctions plus efficaces
que des amendes impayables ou des peines de prison inexécutables,
par exemple le retrait pénal du permis de conduire, l’interdiction
bancaire ou la coupure du gsm. Mais ceci est un autre thème
!
5) Dernière question : est-il normal que,
comme la Suisse, les pays favorisés par les contribuables
soucieux de discrétion à l’égard du
fisc de leur pays de résidence reversent au pays de résidence
– s’il a choisi ce système, comme la Belgique,
plutôt que le système d’échange systématique
d’informations - 15%, et bientôt 35%, sur les intérêts
des fonds ainsi placés? Qui profite alors de ce qui est
qualifié de crime, au même titre que le paradis fiscal
lui-même ? Cela me fait penser à l’Etat qui
taxe la prostitution ou qui s’enrichit du tabac en augmentant
les accises au prétexte d’en réduire la consommation
!
Il faut absolument passer sans tarder d’un système
de retenue à la source à un système d’information
réciproque systématique, tout en veillant à
ce qu’il soit utilisable s’il était vrai qu’il
est aujourd’hui entaché de défaillances.
J’ai d’ailleurs posé la question dès
ma première conférence de presse en 2000 : pourquoi
les banques belges ont-elles accepté de fournir aux fisc
américain les renseignements exigés par ceux-ci
tout en invoquant leur prétendu secret professionnel à
l’égard du fisc belge ?
6) Un détail encore : je parle ici de
fraude fiscale, et non de blanchiment lié à la grande
fraude, à la criminalité fiscale grave et organisée.
Je prends cette précaution, car c’est, je pense,
la confusion entre les deux qui a entravé le projet que
j’avais formé, alors que j’étais adjoint
à Didier Reynders, d’enquêter sur le blanchiment
dans le football.
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