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Visés
(notamment) : les agriculteurs, le commerce de détail,
les concessionnaires et franchisés, les licences, le leasing
…(et les banques ?)
Dans un arrêt lapidaire rendu jeudi dernier 10 avril,
la Cour de cassation a décidé qu’un curateur
peut, pour les besoins de la liquidation, mettre fin aux contrats
en cours conclus par le failli même si cette rupture a pour
effet de priver le cocontractant de ses droits opposables. Cet
arrêt rompt avec les principes appliqués de temps
immémoriaux. Il met gravement en péril les droits
de nombreux opérateurs économiques lorsque leur
cocontractant tombe en faillite, et pas seulement en les privant
de paiement. Ainsi, comme le montre l’arrêt d’appel
annulé par la Cour suprême, il pourrait suffire de
la faillite de la société immobilière propriétaire
pour qu’un agriculteur perde le bénéfice de
son bail à ferme. La propriété commerciale,
liée au droit au bail institué par la loi sur les
baux commerciaux, pourra être remise en cause de la même
manière. Un concessionnaire ou franchisé pourrait
se voir imposé un arrêt d’activité pur
et simple, tout comme l’exploitant d’un brevet ou
d’une licence. L’équipement donné en
leasing pourrait être repris. L’arrêt pourrait
aussi hypothéquer les garanties bancaires contractuelles
: celles-ci deviendraient inexécutables par simple décision
du curateur ! L’arrêt est d’autant plus surprenant
qu’il heurte de front la volonté du législateur,
exprimée il y a trois ans encore lors d’une réforme
de la disposition légale visée par la Cour pour
justifier sa décision !
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Imaginez que vous soyez un jeune entrepreneur
dynamique ayant pignon sur rue dans le centre ville ou le goulet
Louise où vous avez payé un important pas de porte
pour ouvrir une brasserie ou une boutique de luxe. Ce qui fait
le prix du « pas de porte » acquitté pour entrer
dans les lieux, c’est la garantie que vous donne la loi
de pouvoir y rester pendant 36 années. Mais voilà
que la société immobilière propriétaire
de l’immeuble vient à connaître des difficultés
et qu’elle est déclarée en faillite. Jusqu’ici
sa défaillance ne vous exposait pas au risque d’une
expulsion. L’arrêt de jeudi dernier bouleverse les
règles : le curateur peut désormais décider
de terminer le bail pour les besoins de la liquidation !
Il avait toujours été
admis jusqu’ici que la faillite d’un débiteur
était en principe sans effet sur le sort des contrats en
cours, sous cette réserve que le cocontractant ne peut
évidemment forcer le curateur à exécuter
le contrat ! Cette solution paraissait tellement aller de soi
aux auteurs de la loi du 18 avril 1851, qui a régi la matière
jusqu’à la réforme du droit de la faillite
et du concordat de 1997, qu’ils n’avaient pas estimé
nécessaire de l’inscrire dans la loi. Mais, dans
l’intérêt même des cocontractants, elle
fut expressément confirmée par l’article 46
de la loi sur les faillites du 8 août 1997, qui permet aux
curateurs de décider « s’ils poursuivent ou
non l’exécution des contrats conclus avant la date
du jugement déclaratif de faillite». « Ne pas
poursuivre l’exécution », considérait-on,
n’est pas priver le cocontractant de ses droits. Le curateur
ne pouvait par exemple pas mettre fin à un bail consenti
par la failli dans le but de vendre immeuble libre d’occupation
et donc à meilleur prix.
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Un premier arrêt confus de la Cour de cassation
du 24 juin 2004 avait jeté le trouble en la matière
en considérant que le curateur pouvait « mettre fin
» aux contrats. Le terme prêtait à ambiguïté
: en pratique le curateur, en décidant de ne pas exécuter
un contrat, y «mettait fin » en ce qui concerne les
obligations du failli ; mais pour le reste le contrat subsistait
en ce qui concerne les droits du cocontractant du failli : le curateur
pourrait-il aussi « mettre fin » au contrat en ce qui
concerne ce dernier ? Aussi cet arrêt avait-il donné
lieu en doctrine à une double lecture : pour la plupart des
commentateurs, très critiques à son égard,
l’arrêt ne remettait pas en cause la jurisprudence traditionnelle
; d’autres y voyaient au contraire une rupture avec les règles
reçues jusqu’ici. Le nouvel arrêt du 10 avril
2008 va dans ce sens.
L’arrêt exige certes que la décision de la
rupture par le curateur soit justifiée par les besoins
de la liquidation. En l’espèce la cour d’appel
de Gand avait admis, sans autre examen, que la rupture d’un
bail à ferme se justifiait par le meilleur prix que le
curateur pourrait en obtenir après avoir expulsé
l’agriculteur. La Cour de cassation lui oppose que la moins-value
découlant de la subsistance du bail ne fait en soi pas
obstacle à la liquidation normale de la faillite et casse
l’arrêt d’appel au motif qu’il avait admis
que la rupture était intervenue dans l’intérêt
de la masse, sans justification plus ample.
Il reste que la Cour consacre ainsi le principe d’une faculté
reconnue au curateur de priver le cocontractant du failli des
droits découlant d’un contrat en cours au moment
de la faillite (comme le droit au bail, le droit de vendre le
produit concédé, le droit de vendre sous la marque
franchisée, le droit d’exploiter sous licence, le
droit d’utiliser un équipement sous leasing, etc.).
Cette solution est d’autant plus curieuse qu’elle
heurte de front la volonté du législateur, telle
qu’elle s’est encore manifestée en toute clarté
lors de la discussion à la Chambre de la loi du 15 juillet
2005 qui a complété l’article 46 de la loi
sur les faillite pour ce qui concerne les contrats travail et
qui a été rédigée précisément
de manière telle à écarter l’interprétation
retenue par la Cour de cassation !
Comme spécialiste de la matière je suis
d’avis qu’une loi interprétative s’impose
d’urgence.
Points
d'actualité antérieurs
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