Le 15 avril 2008

        La Cour de cassation ouvre la voie à la suppression des protections légales de la durée des contrats en cas de faillite

 

Visés (notamment) : les agriculteurs, le commerce de détail, les concessionnaires et franchisés, les licences, le leasing …(et les banques ?)

Dans un arrêt lapidaire rendu jeudi dernier 10 avril, la Cour de cassation a décidé qu’un curateur peut, pour les besoins de la liquidation, mettre fin aux contrats en cours conclus par le failli même si cette rupture a pour effet de priver le cocontractant de ses droits opposables. Cet arrêt rompt avec les principes appliqués de temps immémoriaux. Il met gravement en péril les droits de nombreux opérateurs économiques lorsque leur cocontractant tombe en faillite, et pas seulement en les privant de paiement. Ainsi, comme le montre l’arrêt d’appel annulé par la Cour suprême, il pourrait suffire de la faillite de la société immobilière propriétaire pour qu’un agriculteur perde le bénéfice de son bail à ferme. La propriété commerciale, liée au droit au bail institué par la loi sur les baux commerciaux, pourra être remise en cause de la même manière. Un concessionnaire ou franchisé pourrait se voir imposé un arrêt d’activité pur et simple, tout comme l’exploitant d’un brevet ou d’une licence. L’équipement donné en leasing pourrait être repris. L’arrêt pourrait aussi hypothéquer les garanties bancaires contractuelles : celles-ci deviendraient inexécutables par simple décision du curateur ! L’arrêt est d’autant plus surprenant qu’il heurte de front la volonté du législateur, exprimée il y a trois ans encore lors d’une réforme de la disposition légale visée par la Cour pour justifier sa décision !

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Imaginez que vous soyez un jeune entrepreneur dynamique ayant pignon sur rue dans le centre ville ou le goulet Louise où vous avez payé un important pas de porte pour ouvrir une brasserie ou une boutique de luxe. Ce qui fait le prix du « pas de porte » acquitté pour entrer dans les lieux, c’est la garantie que vous donne la loi de pouvoir y rester pendant 36 années. Mais voilà que la société immobilière propriétaire de l’immeuble vient à connaître des difficultés et qu’elle est déclarée en faillite. Jusqu’ici sa défaillance ne vous exposait pas au risque d’une expulsion. L’arrêt de jeudi dernier bouleverse les règles : le curateur peut désormais décider de terminer le bail pour les besoins de la liquidation !

Il avait toujours été admis jusqu’ici que la faillite d’un débiteur était en principe sans effet sur le sort des contrats en cours, sous cette réserve que le cocontractant ne peut évidemment forcer le curateur à exécuter le contrat ! Cette solution paraissait tellement aller de soi aux auteurs de la loi du 18 avril 1851, qui a régi la matière jusqu’à la réforme du droit de la faillite et du concordat de 1997, qu’ils n’avaient pas estimé nécessaire de l’inscrire dans la loi. Mais, dans l’intérêt même des cocontractants, elle fut expressément confirmée par l’article 46 de la loi sur les faillites du 8 août 1997, qui permet aux curateurs de décider « s’ils poursuivent ou non l’exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de faillite». « Ne pas poursuivre l’exécution », considérait-on, n’est pas priver le cocontractant de ses droits. Le curateur ne pouvait par exemple pas mettre fin à un bail consenti par la failli dans le but de vendre immeuble libre d’occupation et donc à meilleur prix.


 



 

 

 

Un premier arrêt confus de la Cour de cassation du 24 juin 2004 avait jeté le trouble en la matière en considérant que le curateur pouvait « mettre fin » aux contrats. Le terme prêtait à ambiguïté : en pratique le curateur, en décidant de ne pas exécuter un contrat, y «mettait fin » en ce qui concerne les obligations du failli ; mais pour le reste le contrat subsistait en ce qui concerne les droits du cocontractant du failli : le curateur pourrait-il aussi « mettre fin » au contrat en ce qui concerne ce dernier ? Aussi cet arrêt avait-il donné lieu en doctrine à une double lecture : pour la plupart des commentateurs, très critiques à son égard, l’arrêt ne remettait pas en cause la jurisprudence traditionnelle ; d’autres y voyaient au contraire une rupture avec les règles reçues jusqu’ici. Le nouvel arrêt du 10 avril 2008 va dans ce sens.

L’arrêt exige certes que la décision de la rupture par le curateur soit justifiée par les besoins de la liquidation. En l’espèce la cour d’appel de Gand avait admis, sans autre examen, que la rupture d’un bail à ferme se justifiait par le meilleur prix que le curateur pourrait en obtenir après avoir expulsé l’agriculteur. La Cour de cassation lui oppose que la moins-value découlant de la subsistance du bail ne fait en soi pas obstacle à la liquidation normale de la faillite et casse l’arrêt d’appel au motif qu’il avait admis que la rupture était intervenue dans l’intérêt de la masse, sans justification plus ample.

Il reste que la Cour consacre ainsi le principe d’une faculté reconnue au curateur de priver le cocontractant du failli des droits découlant d’un contrat en cours au moment de la faillite (comme le droit au bail, le droit de vendre le produit concédé, le droit de vendre sous la marque franchisée, le droit d’exploiter sous licence, le droit d’utiliser un équipement sous leasing, etc.).

Cette solution est d’autant plus curieuse qu’elle heurte de front la volonté du législateur, telle qu’elle s’est encore manifestée en toute clarté lors de la discussion à la Chambre de la loi du 15 juillet 2005 qui a complété l’article 46 de la loi sur les faillite pour ce qui concerne les contrats travail et qui a été rédigée précisément de manière telle à écarter l’interprétation retenue par la Cour de cassation !

Comme spécialiste de la matière je suis d’avis qu’une loi interprétative s’impose d’urgence.















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