SENAT DE BELGIQUE
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SESSION
ORDINAIRE 2008-2009
23
AVRIL 2008
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PROPOSITION
DE LOI
Portant
interprétation de l’article 46, § 1er,
alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les
faillites
(Déposée
par Mmes Christine Defraigne et Dominique Tilmans, MR)
DEVELOPPEMENTS
Résumé
1) L’article 46, § 1er, alinéa 1er, de
la loi du 8 août 1997 sur les faillites prescrit aux
curateurs de décider « s’ils poursuivent
ou non l’exécution des contrats conclus avant
la date du jugement déclaratif de faillite ».
Selon
l’interprétation traditionnelle
de la règle en cause, appliquée depuis 1851
au moins, le curateur ne peut pour autant pas mettre fin
à ces contrats sans respecter les stipulations conventionnelles
ou les dispositions légales applicables. «
Ne pas poursuivre l’exécution » ne veut
pas dire « priver le cocontractant de ses droits ».
Le
meilleur exemple concret est celui du bail : si le curateur
d’un propriétaire déclaré en
faillite décide de ne pas poursuivre le bail, le
locataire ne pourra le contraindre à entretenir les
lieux et à garantir sa jouissance ; mais rien n’empêche
le locataire de rester dans les lieux après la faillite
du propriétaire, sans que le curateur ne puisse l’en
expulser pour vendre le bien libre d’occupation à
meilleur prix. Le fermier ne pourra être privé
de son bail à ferme, ni le détaillant de son
droit au bail commercial ; après la vente du bien
ils pourront faire valoir leurs droits envers l’acquéreur.
Un
autre exemple est celui des intermédiaires commerciaux
: le curateur d’une grande enseigne peut décider
de ne pas poursuivre l’activité commerciale,
mais il ne peut pas révoquer les contrats des franchisés
ou des concessionnaires de vente ni les mandats des agents
commerciaux sans se conformer aux règles édictées
par les lois du 27 juillet 1961 ou du 13 avril 1995 en ce
qui concerne les préavis ou indemnités.
Dans
tous ces cas les cocontractants du failli continuent à
bénéficier des droits qui sont instaurés
par les lois promulguées dans le but de garantir
la stabilité de leur activité.
2) Une interprétation nouvelle de
la même disposition vient d’être retenue
par la Cour de cassation dans un arrêt 10 avril 2008.
D’après
cet arrêt, l’article 46 permet au curateur de
mettre fin à un contrat en cours conclu par le failli
lorsque ceci est nécessaire pour l’administration
de la masse, même lorsque cette convention accorde
des droits qui sont opposables à la masse.
Dans
cette hypothèse, les droits des cocontractants susvisés
dans les exemples qui précèdent seraient tout
simplement réduits à néant .
Les
conséquences socio-économiques
particulièrement néfastes de pareille situation,
notamment pour les agriculteurs, pour le commerce de détail,
pour les franchisés ou concessionnaires de vente,
pour les agents commerciaux, etc., se conçoivent
aisément.
Cette
interprétation nouvelle (qui revient en réalité
à une modification fondamentale de la règle
déposée à l’article 46) :
- est
contraire à celle qui a encore été
consacrée par la Cour de cassation elle même
dans un arrêt du 11 avril 2005 (infra,
n° 4) ;
- s’écarte
de la doctrine professée il n’a quelques
années encore (en 2003 et 2004) par deux spécialistes
éminents, M. Ivan Verougstraete, auteur d’un
traité qui fait autorité, et M. E. Dirix,
professeur à la K.U.L. (voy. infra, n° 6) ;
- ne
tient aucun compte des réserves manifestes
de la doctrine largement majoritaire (voy. infra, n°
9) ;
- heurte
la volonté du législateur telle qu’elle
s’est manifestée lors de la discussion et de
la rédaction de l’article 46, § 2, de
la loi sur les faillites, y inséré par la
loi du 15 juillet 2007 (voy. infra, n° 11).
Elle
appelle dès lors sans délai le vote et la
promulgation d’une loi interprétative.
La jurisprudence et la doctrine sous le régime
antérieur
3) Il a toujours été reçu en doctrine
et en jurisprudence :
- que
la faillite n’entraîne pas la dissolution des
contrats en cours au jour du jugement déclaratif,
sauf lorsque ceux-ci sont conclus intuitu personae
ou contiennent une clause résolutoire expresse ;
- que le curateur peut choisir d’exécuter ou
de ne pas exécuter les contrats en cours, selon l’intérêt
de la masse et sans préjudice au droit du cocontractant
de déclarer au passif dans la masse les dommages
que lui cause l’inexécution .
Cette solution paraissait tellement aller de soi aux auteurs
de la loi du 18 avril 1851 sur les faillites, sursis et
banqueroutes, qui a régi la matière jusqu’à
la réforme du droit des procédures collective
de 1997, qu’ils n’avaient pas estimé
nécessaire de l’inscrire expressément
dans la loi !
Toujours selon une doctrine et une jurisprudence unanimes,
la faculté qui était reconnue au curateur
de ne pas exécuter les contrats en cours ne lui conférait
aucunement un droit de résiliation sui generis
qui lui aurait permis de mettre fin à ces contrats
en dehors des stipulations conventionnelles ou dispositions
légales applicables qui auraient dû être
respectées par le failli. Le curateur n’a en
effet, par rapport aux contrats en cours, pas plus de droits
que ceux dont disposait le débiteur avant la faillite
.
Ainsi le Prof. Van Ommeslaghe écrivait-il : «
le droit pour le curateur de se refuser à exécuter
la convention implique que celui-ci doive prêter la
main à cette exécution, auquel cas il peut
s’y opposer si l’intérêt de la
masse le commande, sous réserve de dommages-intérêts
dus au cocontractant du failli. Mais, lorsque les clauses
du contrat peuvent sortir leurs effets indépendamment
de toute intervention ou de toute prestation du curateur,
il nous paraît que ce dernier ne pourrait (…)
prétendre s’opposer à l’efficacité
de la clause…» .
Sur le plan pratique, c’est dans le domaine des baux
consentis par le failli que les principes en cause recevaient
l’éclairage concret le plus parlant.
S’il n’était pas contesté que
le curateur puisse demeurer passif et que le preneur ne
pouvait l’appeler en garantie de sa jouissance, il
n’était pas davantage contesté qu’il
devait respecter un bail qui lui était opposable
et qu’il ne pouvait donc remettre en cause les droits
d’un locataire en l’expulsant sans respecter
les dispositions légales et les stipulations conventionnelles
Ainsi le juge de paix d’Anvers débouta-t-il
par jugement du 27 juillet 1994 un curateur qui avait décidé
de ne pas poursuivre un bail consenti par le failli de sa
demande tendant à entendre dire pour droit que le
locataire du failli occupait l’immeuble sans titre
ni droit par la considération que « La
faillite du bailleur qui a consenti un bail commercial avant
le jugement déclaratif, ne modifie pas les droits
et obligations des parties. Le curateur ne peut mettre fin
à la convention à tout moment et selon ses
besoins » .
4) Il y a trois ans encore, la Cour de cassation consacrait
cet enseignement. Par arrêt du 11 avril 2005 elle
déboutait ainsi un curateur qui, confronté
à une demande de renouvellement du bail commercial
consenti par la société faillie, avait réservé
sa réponse en attendant des offres d’achat
de l’immeuble, estimant ne pas être tenu par
la procédure prévue par la loi sur les baux
commerciaux. Selon l’arrêt, « la loi
du 18 avril 1851 sur les faillites, banqueroutes et sursis
de paiement ne contient aucune disposition dérogatoire
à l'article 14 de la loi sur les baux commerciaux
» et « la bonne gestion de la faillite n'autorise
pas le curateur à notifier au preneur qui demande
régulièrement le renouvellement du bail une
réponse émettant des réserves ou stipulant
une condition résolutoire…» .
L’article
46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites
5)
L’article 46 de la loi sur les faillites du 8 août
1997 (tel qu’adopté à l’origine,
mais devenu l’article 46, § 1er, depuis la loi
du 15 juillet 2005) dispose que :
«
Dès leur entrée en fonctions, les curateurs
décident sans délai s’ils poursuivent
l’exécution des contrats en cours avant la
date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels
ce jugement ne met pas fin.
«
La partie qui a contracté avec le failli peut mettre
les curateurs en demeure de prendre cette décision
dans les quinze jours. Si aucune prorogation de délai
n’est convenue ou si les curateurs ne prennent pas
de décision, le contrat est présumé
être résilié par les curateurs dès
l’expiration de ce délai ; la créance
de dommages et intérêts éventuellement
dus au co-contractant du fait de l’inexécution
entre dans la masse .
«
Lorsque les curateurs décident d’exécuter
le contrat, le co-contractant a droit, à charge de
la masse, à l’exécution de cet engagement
dans la mesure où celui-ci a trait à des prestations
effectuées après la faillite ».
En
adoptant le dit article 46, le législateur de 1997
n’a pas entendu se départir de la solution
traditionnelle, mais il a voulu tout au contraire la confirmer
en son alinéa 1er et la compléter, avec à
l’esprit essentiellement aux contrats de travail,
en couvrant en son alinéa 2 l’hypothèse
où le curateur demeure passif et en réglant
en son alinéa 3 la question de la nature du caractère
de dette « de » ou « dans » la masse
de l’indemnité éventuelle de résiliation
due au cocontractant.
6)
Aussi la doctrine s’en est-elle tenue, dans la lecture
de l’article 46, à l’interprétation
traditionnelle, en vigueur sous le régime antérieur,
de la règle qui y est déposée.
Dès la réforme de 1997, deux grands spécialistes
du droit des sûretés apportaient au sujet de
la disposition en cause le commentaire suivant :
«Il est exact que le curateur a toujours le choix
de poursuivre ou non l’exécution d’un
contrat en cours. Cette formulation doit cependant être
prise au pied de la lettre. Il a le choix de fournir ou
non les prestations auxquelles le failli est obligé
du chef de la convention. S’il décide cependant
dans l’intérêt de la masse de ne pas
fournir ces prestations, la seule conséquence en
est l’existence d’une inexécution contractuelle.
L’inexécution ne met cependant pas fin à
la convention. C’est au cocontractant qu’il
incombe de déterminer sa position en tenant compte
des règles propres à la faillite. Il peut
ainsi commencer par suspendre ses propres prestations sur
la base de l’exceptio non adimpleti contractus. Il
a par ailleurs le choix de laisser tout simplement le contrat
inexécuté ou de poursuivre la résolution
de la convention et le paiement de dommages et intérêts
pour cause d’inexécution.
« Le curateur peut, en d’autres termes, refuser
d’apporter son concours à la poursuite de l’exécution
de la convention, mais il ne peut en nier les effets dans
la mesure où ils ne nécessitent pas son concours.
Quelques exemples peuvent illustrer ceci.
« En cas de faillite d’un bailleur, le curateur
peut certes décider de ne pas exécuter les
obligations du bailleur, mais il ne peut contraindre le
preneur à quitter l’immeuble donné à
bail. S’il avait pu faire cela, il aurait de cette
manière pu « purger » les biens immobiliers
du failli et les réaliser ensuite à de meilleures
conditions, et ceci sans égard au fait que les baux
soient opposables aux acquéreurs.
« Lorsque le failli a consenti une option à
un tiers, antérieurement au jugement déclaratif,
le curateur ne peut pas la mettre à néant
en infraction à la convention. Il ne peut pas davantage
mettre fin à la licence d’un brevet accordée
par le failli de manière contraire à la convention
de concession, ou poursuivre le bénéficiaire
de la licence pour infraction au brevet.
« Il ressort de ces exemples qu’une nouvelle
réglementation qui permettrait au curateur de mettre
fin à n’importe quel contrat n’est pas
opportune et entraînerait au contraire des conséquences
inadmissibles » .
Dans une contribution sur le thème de la faillite
et des contrats en cours, publiée en 2004 , le Prof.
Dirix mettait en exergue la continuité entre le régime
antérieur et le régime nouveau, et écrivait
notamment :
“Le débiteur (cocontractant) pourra opposer
(au curateur) toutes exceptions et moyens de défense
dont il disposait contre le failli.
« Ceci n’est rien d’autre qu’une
application du principe du droit des saisies que, lorsqu’un
créancier entend exercer son droit de recours sur
la créance qu’un débiteur a sur un tiers,
il doit prendre cette créance avec toutes les limitations,
conditions et modalités telles qu’elles résultent
de la relation juridique en cause … Le curateur ne
peut donc, en ce qui concerne ces contrats, faire valoir
plus de droits que ceux dont dispose le failli lui-même
».
S’agissant de la question plus spécifique de
la faillite du bailleur d’immeuble, la doctrine continua
à défendre la solution selon laquelle le curateur
est tenu de respecter un bail qui lui est opposable, considérant
toujours que si le locataire ne peut contraindre le curateur
de son bailleur failli à garantir sa jouissance,
rien ne l’empêche de rester dans les lieux après
la faillite de ce bailleur, sans que le curateur ne puisse
l’en expulser .
Dans la dernière édition de son Manuel du
concordat et de la faillite publiée en 2003, M. Ivan
Verougstraete, Président de la Cour de cassation,
écrivait :
« Le droit d’option du curateur ne lui permettrait
pas d’expulser le locataire pour ensuite vendre le
bien libre d’occupation » .
Dans sa contribution précitée de 2004, M.
Eric Dirix, professeur à la K.U.L. et conseiller
à la Cour de cassation, défendait le même
point de vue, non sans avoir souligné que la même
solution prévalait en droit américain comme
en droit néerlandais et en droit allemand .
7)
L’examen de la jurisprudence apprend que jusqu’à
un jugement avant-dire droit prononcé par le tribunal
de commerce de Bruxelles le 28 novembre 2002 aucun plaideur
n’avait remis en cause ces solutions.
Dans l’espèce jugée par le tribunal,
en revanche, le curateur d’une société
qui avait consenti un bail de brasserie soutenait que l’article
46 L.F. lui permettait de résilier ce bail sans avoir
à tenir compte de la protection de la loi sur les
baux commerciaux, ce que contestait le preneur en faisant
valoir que le droit d’option du curateur violait le
principe d’égalité constitutionnel,
mais sans mettre en cause l’interprétation
de ce droit d’option proposée à tort
par son adversaire !
Ainsi (mal) posé par les parties, le débat
amena le tribunal, manifestement mal à l’aise
devant les conséquences de l’interprétation
nouvelle défendue devant lui, à soumettre
la question préjudicielle suivante à la Cour
d’arbitrage : « l’article 46 de la
loi du 8 août 1997, interprété comme
autorisant un curateur à déroger à
la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux en ne respectant
pas les conditions fixées par cette loi pour pouvoir
mettre fin au bail qui lie le failli au preneur, viole-t-il
ou non les articles 10 et 11 de la Constitution ?
Par arrêt du 10 décembre 2003 , la Cour d’arbitrage
répondit négativement par les considérations
suivantes :
« Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité
de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution,
en ce qu’elle autorise un curateur à déroger
à la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux
en ne respectant pas les conditions fixées par cette
loi pour pouvoir mettre fin au bail qui lie le failli au
preneur »
« En visant tous les contrats, y compris ceux qui
sont régis par la loi du 30 avril 1951 sur les baux
commerciaux, le législateur prend une mesure pertinente
au regard de l’objectif poursuivi, qui est d’assurer
l’égalité des créanciers, donc
de ne pas favoriser certains créanciers par rapport
à d’autres.
Contrairement à ce qui a pu être affirmé,
cet arrêt de la Cour d’arbitrage n’a aucunement
validé l’interprétation nouvelle, car
la Cour n’était pas appelée à
se prononcer et ne s’est aucunement prononcée
sur l’interprétation de l’article 46
L.F. qui était proposée par le tribunal de
commerce de Bruxelles et qui servait de postulat à
la question qui lui était posée.
En effet, conformément à la jurisprudence
constante de la Cour d’arbitrage, « il appartient
au juge qui pose la question d’interpréter
la disposition qui en fait l’objet. La Cour appréciera
si la disposition légale, telle qu’elle est
interprétée par ce juge, viole ou non une
des dispositions constitutionnelles que l’article
107ter (142 nouveau) de la Constitution désigne comme
critères de contrôle » . La portée
d’un arrêt de la Cour constitutionnelle est
donc ainsi limitée.
8)
La publication de l’arrêt de la Cour d’arbitrage
eut cependant pour effet de faire prendre conscience aux
curateurs de l’intérêt pour la liquidation
de l’interprétation nouvelle de leur droit
d’option, et, partant, de les encourager à
défendre la thèse qu’ils peuvent mettre
fin à des baux en cours par application de l’article
46 L.F. sans avoir à s’en tenir aux dispositions
de la loi sur les baux à ferme ou sur les baux commerciaux.
Tel fut notamment le cas d’un curateur à la
faillite d’une sprl Boopen, confronté lui aussi
à un bail de brasserie.
Fidèles à l’interprétation traditionnelle,
les juridictions de fond, dont la cour d’appel de
Bruxelles, par son arrêt du 26 février 2002
, refusèrent de suivre ce curateur.
Cette interprétation traditionnelle fut aussi défendue
par le Procureur Général près la Cour
de cassation dans son avis donné sur le recours formé
contre l’arrêt d’appel sur la base d’une
motivation malheureusement maladroite.
C’est ce qui amena la Cour de cassation, malgré
l’avis contraire du ministère public, à
mettre à néant l’arrêt d’appel
à néant par un arrêt du 24 juin 2004
, exprimé dans des termes prêtant à
ce point à ambiguïté qu’il fut
publié à la Revue de droit commercial
belge accompagné de deux notes qui en proposaient
une lecture diamétralement opposée, l’une
dans la ligne de l’interprétation traditionnelle
et l’autre en rupture avec celle-ci et favorable à
l’interprétation nouvelle.
9) Hormis les auteurs de ce dernier commentaire tendant
à reconnaître un droit absolu de résiliation
sui generis des baux dans le chef du curateur uniquement
circonscrit par l’intérêt de la masse
des créanciers de la faillite, la doctrine ne s’est
pas montrée favorable à l’interprétation
nouvelle.
Dans
un premier commentaire consacré à l’arrêt
du 24 juin 2004 dans un examen de jurisprudence, le Prof.
Dirix s’est borné à faire valoir que,
si l’interprétation nouvelle devait être
retenue, la créance du cocontractant du failli propriétaire
dont le curateur romprait le bail aurait « logiquement
» la qualité de créance «
de » la masse , ce qui est évidemment
antinomique avec l’intérêt de la masse
visé par les adeptes de l’interprétation
nouvelle.
M.
Van Lembergen, examinant la question sous l’angle
des contrats de financement ou de refinancement faisant
appel à la technique d’engagements de loyers,
a pour sa part souligné le risque découlant
du même l’arrêt, au point de se demander
si de telles sûretés présentent encore
un intérêt . Sur le fond, l’auteur critiquait
la thèse tendant à conférer au curateur
un droit absolu de résiliation unilatérale,
au regard notamment de l’interprétation restrictive
qu’il convient de donner à la règle
inscrite à l’article 1134 du Code civil selon
lequel les conventions ne peuvent être révoquées
que du consentement mutuel des parties, « ou pour
les causes que le loi autorise ». Cette même
thèse était également critiquée
sur le plan de l’opportunité, puisque si la
sécurité juridique afférente aux mises
en gage de loyers n’était plus garantie, les
créanciers, faisait valoir M. Van Lembergen, devraient
recourir à la protection hypothécaire, laquelle
est plus lourde et plus coûteuse.
M.
Brijs a minimisé la portée de l’arrêt
, mettant en exergue le fait que le débat avait en
quelque sorte été mal posé devant la
Cour de cassation.
Dans
sa thèse récente sur La saisie de la monnaie
scripturale , le Prof. Fr. Georges considérait
que « L’argument le plus convaincant formulé
en faveur du maintien de l’efficacité du bail
commercial réside dans la référence
à l’article 1575 du Code judiciaire, qui détermine,
en matière de saisie-exécution immobilière,
la mesure de l’opposabilité des baux consentis
par le saisi. Pourquoi un curateur devrait-il être
plus favorisé qu’un créancier saisissant
? ».
Le
Prof. Chr. Biquet-Mathieu opinait dans le même sens,
en observant que « l’on ne s’explique
pas pourquoi le bail, qui s’impose au créancier
saisissant (articles 1575 C.jud.), ne devrait pas de même
s’imposer au curateur »
Mme
A. De Wilde, auteur d’une thèse récente
sur la notion de dette de masse dans le droit de l’insolvabilité,
relevait pareillement cette différence de traitement
- a priori injustifiée - entre le curateur et le
créancier saisissant . Elle critiquait en outre l’arrêt
du 24 juin 2004 en ce que (i) s’agissant de l’option
visée à l’article 46 L.H., le critère
de « nécessité pour la bonne administration
de la masse » est de nature à ouvrir la
porte à des discussions sans fin et (ii) la sécurité
juridique s’en trouverait mise à mal si tout
locataire ou toute personne partie à un accord de
cession ou de licence pouvait, en dépit du fait que
son contrat est opposable au curateur, voire ses droits
écartés en cas de faillite.
Selon
Mme De Wilde, “même après lecture
de l’arrêt de cassation du 24 juin 2004 il doit
être conclu que le droit de la faillite ne comporte
aucun texte légal octroyant au curateur un droit
de rupture unilatéral des contrats en cours au moment
de la faillite. Ni dans les termes de l’article 46
de la loi sur les faillites, ni dans les travaux préparatoires
de cette loi, ne peut être trouvé trace de
pareil droit sui generis pour le curateur”
Dans
un article consacré à la nature juridique
de la monnaie scripturale, spécialement en relation
avec l’opposabilité aux tiers des comptes qualifiés
, le Prof. X. Dieux et M. Cédric Alter ont observé
que si l’on devait suivre l’interprétation
nouvelle maximaliste proposée de l’article
46 L.F., le curateur pourrait déclarer qu’il
ne respecterait pas l’affectation donnée à
un compte, dès lors que celle-ci n’aurait pas
été amenée à sortir tous ses
effets avant la faillite.
L’ambiguïté
de l’arrêt du 24 juin 2004 (comme les difficultés
que susciterait l’arrêt du 10 avril 2008 à
défaut de loi interprétative) était
telle qu’à l’occasion d’un cycle
de cours sur le droit de l’insolvabilité organisé
pour l’école Themis de formation juridique
postacadémique au cours du second semestre de 2006,
le Prof. Dirix en fournissait une troisième lecture
!
Quant
au Prof. Fr. T’Kint et à M. Derijcke, ils mettent
l’accent, dans leur récent ouvrage sur le droit
de la faillite, sur le caractère « peu
équitable » qui pourrait résulter
de l’application de l’interprétation
nouvelle l’article 46 de la loi sur les faillites,
notamment dans l’hypothèse visée par
la Cour de cassation : « Ainsi, on comprendra
aisément qu’en cas de faillite d’un locataire,
le curateur puisse ne pas poursuivre l’exécution
d’un bail commercial. Mais l’inverse n’est-il
pas curieux : le curateur d’un bailleur failli peut-il
réellement dénoncer le bail, sans avoir à
se conformer aux dispositions légales relatives aux
baux, causant ainsi un préjudice sans aucun doute
brutal et peut-être même fatal au commerce du
preneur ? » .
10) L’arrêt de la Cour de cassation du 10 juin
2008 a fait néanmoins sien l’interprétation
nouvelle, et ce très précisément dans
les termes suivants :
«
Lorsque ceci est nécessaire pour l’administration
de la masse, c’est-à-dire lorsque la poursuite
de la convention conclue par le failli entrave la liquidation
de la masse ou l’obère anormalement, le curateur
peut mettre fin par application de l’article 46 de
la loi sur les faillites à un contrat en cours conclu
par le failli, même lorsque cette convention accorde
des droits qui sont opposables à la masse.».
Indépendamment
de la question de principe de l’interprétation
du droit d’option, le praticien imaginera sans peine
les difficultés d’application de notions aussi
floues que celles que constituent la condition que la convention
« entrave à la liquidation de la masse
ou l’obère anormalement», comme
l’a déjà souligné Mme De Wilde
dans sa contribution précitée.
L’interprétation législative
de l’article 46, § 1er
11) L’arrêt du 10 avril 2008 méconnait
par ailleurs totalement la volonté du législateur
telle qu’elle s’est exprimée à
l’occasion de la discussion, de la rédaction
et du vote de la loi du 15 juillet 2005.
Cette
loi a inséré un nouveau paragraphe à
l’article 46, dont le premier alinéa dispose
que :
«
Si lors de la cessation d’activités, notamment
à l’occasion du jugement déclaratif
de faillite, les curateurs manifestent expressément
ou tacitement leur volonté de résilier les
contrats de travail existants, ils ne sont pas tenus de
l’accomplissement des formalités et procédures
particulières applicables à la résiliation
de ces contrats » .
A
l’origine, la proposition de loi ayant abouti à
la loi du 15 juillet 2005 avait un objet limité : elle
prévoyait que (i) le curateur puisse consulter le registre
électronique du personnel des entreprises soumises
à l’obligation d’effectuer une déclaration
immédiate d’emploi (modification de l’article
10 L.F.) et (ii) que le curateur soit dispensé de l’obligation
de consulter la commission paritaire avant le licenciement
des travailleurs, même si ces travailleurs bénéficiaient,
avant la faillite, d’une protection particulière
contre le licenciement (modification de l’article 46
L.F.) .
Un
amendement n° 2 fut déposé qui, bien qu’étant
justifié par des considérations propres au
droit social, proposait d’insérer les alinéas
suivants, rédigés en termes généraux
:
«Si
lors de la cessation d’activités, notamment
à l’occasion du jugement déclaratif
de faillite, les curateurs manifestent expressément
ou tacitement leur volonté de résilier les
contrats existants, ils ne sont pas tenus de l’accomplissement
des formalités et procédures particulières
applicables à la résiliation de ces contrats.
Toutefois,
si les curateurs, en vue de la poursuite totale ou partielle
ou de la reprise des activités, concluent de nouveaux
contrats avec des contractants visés à l’alinéa
précédent, ces derniers bénéficient
des formalités et procédures applicables aux
contrats résiliés pendant le temps de la poursuite
des activités» .
S’en
suivi une discussion lors des débats parlementaires
qui se situe au cœur de la problématique .
Le
rapporteur marqua son désaccord sur l’amendement
n° 2 « dans la mesure où ce dernier
porte sur tous les contrats existants, alors que la proposition
de loi concerne uniquement les contrats de travail »
. « Son groupe », précise le
rapport, « ne peut accepter l’idée
qu’un curateur ne soit plus obligé, lors d’une
faillite, de remplir les formalités et procédures
particulières applicables en cas de résiliation
de contrats autres que des contrats de travail, par exemple,
les baux à loyer, les contrats de leasing ou les
conventions de concession ».
L’auteur
de l’amendement n° 2 répondit alors que
c’était par erreur que le champ d’application
de cet amendement avait été étendu
à tous les contrats et proposa un amendement n°
4 , à savoir un sous-amendement à l’amendement
n° 2, tendant à insérer, dans les alinéas
1er et 2 de l’amendement n° 2, les mots «de
travail» après le mot «contrat».
Un
autre parlementaire ayant jugé « superflue
» la modification proposée de l’article
46 de la loi sur les faillites ainsi limitée aux
contrats de travail, il fut demandé au représentant
de la vice-première ministre et ministre de la Justice
si le gouvernement n’avait pas l’intention d’étendre
le champ d’application de cette disposition à
tous les contrats.
La
réponse qui fut donnée est particulièrement
intéressante :
«
Le représentant de la vice-première ministre
et ministre de la Justice répond qu’il existait
un accord politique pour étendre le champ d’application
de la disposition à l’ensemble des contrats,
dès lors que l’article 46 actuel de la loi
sur les faillites traite également de tous les contrats.
La Cour d’arbitrage a récemment estimé
que, lorsque, dans le cadre d’une faillite, un curateur
met fin à un contrat de bail commercial sans respecter
la procédure spécifique prévue dans
la loi sur les baux commerciaux, il ne viole pas la Constitution.
Si on limitait la disposition aux contrats de travail, on
pourrait a contrario faire le raisonnement suivant : lors
de cessation de tous les autres contrats à la suite
d’une faillite, le curateur est bel et bien tenu de
respecter les formalités et procédures spécifiques.
L’intervenant acquiesce aux amendements n°s 2
et 4, mais approfondira la possibilité d’étendre
à l’avenir la disposition à tous les
contrats sur la base de la jurisprudence de la cour de cassation
».
Deux
constatations peuvent être retenues de cette intervention
:
1°-
selon le représentant de la ministre de la Justice,
il aurait existé un « accord politique
» pour étendre à l’ «
ensemble des contrats » le pouvoir ainsi conféré
au curateur de résilier les contrats de travail en
s’affranchissant de l’accomplissement des formalités
et procédures particulières applicables à
la résiliation de ces contrats, lequel accord aurait
pu se traduire « à l’avenir »
par une adaptation de l’article 46 L.F. ; et
2°-
en l’état, et après discussion sur ce
point précis lors des débats parlementaires,
il a néanmoins été décidé
de limiter expressément la portée de l’article
46, § 2, nouveau, alinéa 1er, aux contrats de
travail, de telle sorte que, selon le représentant
de la ministre elle-même, l’argument a contrario
pourrait être fait que « lors de cessation
de tous les autres contrats [que le contrat de travail]
à la suite d’une faillite, le curateur
est bel et bien tenu de respecter les formalités
et procédures spécifiques ».
On
laissera au représentant du ministre de la Justice
la responsabilité de sa déclaration sur la
prétendue existence d’un accord politique pour
étendre à l’ensemble des contrats le
pouvoir conféré au curateur de mettre fin
aux contrats de travail en s’affranchissant de l’accomplissement
des formalités et procédures particulières
applicables à ces contrats, laquelle, suppose-t-on,
résulte d’un malentendu. Aucune proposition
en ce sens n’a en tout cas jamais été
formulée par la suite par la ministre et a fortiori
aucune modification légale n’est intervenue
à cet égard.
En
revanche les précisions que ce représentant
a très utilement apportées sur les conséquences
de l’accord intervenu en commission sur l’amendement
n° 4 ont le mérite d’éclairer l’interprète
de la loi sur ce qu’était, il y a trois ans
à peine, et quelle est demeurée la volonté
du législateur, à savoir ne pas s’écarter
de l’interprétation traditionnelle de la règle
déposée à ce qui est devenu le premier
paragraphe de l’article 46.
Il
est regrettable que dans son travail d’interprétation
de la loi, la Cour de cassation ne se soit pas penchée
sur ses travaux, auquel son arrêt du 10 avril 2008
ne fait aucune référence.
PROPOSITION
DE LOI INTERPRETANT L’ARTICLE 46, § 1er, ALINEA
1er, DE LA LOI DU 8 AOUT 1997 SUR LES FAILLITES
Article
1er
La présente loi règle une matière visée
à l’article 78 de la Constitution.
Article 2
L’article 46, § 1er, alinéa 1er, de la
loi du 8 août 1997 sur les faillites est interprété
en ce sens que :
1° les curateurs ne peuvent mettre fin à ces
contrats qu’en se conformant aux dispositions légales
et contractuelles applicables ;
2° la décision de ne pas exécuter un contrat
en cours ne prive pas la partie qui a contracté avec
le failli des droits qu’elle puise dans ce contrat
.
Le ___ avril 2008
(signataires)
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