Le 22 mai 2008
        La loi dispose, le contrat stipule...
 

Toujours fidèle au bonjour quotidien de "Monsieur Dico" dans « La Libre Belgique », dont le billet de mardi dernier portait sur le mauvais anglicisme que constitue l'usage erroné du terme "provision" en lieu et place du terme "disposition", j’ai sursauté en lisant : « J’ajoute, quant à moi, qu’on pourrait aussi employer stipulation ou clause, ce dernier mot étant fort prisé au Québec, qui surveille de près l’entrée des mots en provenance de leur grand voisin américain » !

Jacques Mercier me permettra de ne pas marquer accord sur cette analogie entre « disposition » d’une part, et « stipulation » ou « clause » de l’autre.

« La loi dispose, le contrat stipule », enseignait-on de mon temps à la Faculté de droit : seule se stipule une condition, stipuler signifiant en droit romain, contracter par la paille.

J’ai voulu vérifier l’exactitude de mon souvenir dans les dictionnaires que j’ai sous la main, et au « Lexique des termes juridiques » (15ème éd.) publié en 2005 aux Editions Dalloz.

Le terme « disposition » n’y est pas défini, mais il l’est dans le Robert : « Point que règle un acte juridique, une loi ». Le Lexique vise cependant la « disposition à titre gratuit », soit le « transfert d’un bien au profit d’un tiers avec une intention libérale, soit par donation entre vifs, soit par testament ». La disposition peut donc être déposée dans un acte privé, comme dans une loi.

La « stipulation » en revanche y est définie comme étant l’« expression de la volonté énoncée dans une convention. Le législateur dispose et les parties stipulent », précise ce lexique.

Dans Le style des jugements, précis savant publié en 1970 aux Editions techniques, Pierre Mimin, membre correspondant de l’Institut et Premier Président Honoraire de la cour d’appel d’Angers (que la page de couverture mentionne avec des initiales majuscules, alors qu’il y a plusieurs cours d’appel en France, comme chez nous !), retoque (page 41) un début d’arrêt selon lequel « il est constant que la loi du 2 juillet 1931 stipule …. ». « Historiquement, écrit Mimin, il n’y a de stipulation que par contrat : une loi ne stipule pas. Grammaticalement, un acte stipule toujours quelque chose ; il faut un régime direct. Seule une personne pourrait dire qu’elle stipule pour quelqu’un. Un jugement n’est pas un contrat.


 

 

 

Donc le juge non plus ne stipule pas » poursuit-il en corrigeant un tribunal qui prétendait avoir stipulé dans un jugement antérieur. En note au bas de la page 89 du même ouvrage, il est encore écrit que « la loi a stipulé » peut être remplacé par « la loi a spécifié ».

Une vérification s'imposait dans les « Coups de règle » publiés au « Journal des Tribunaux », que je collectionne depuis mon entrée dans la vie professionnelle :

- 1970, J.T. n° 4707, p. 440 : « … le décret …, ni l’arrêté… ne peuvent stipuler, c’est-à-dire énoncer comme une condition dans un acte ou un contrat. Les décrets, les arrêtés, les codes ne stipulent pas ; ils disposent ».

- 1972, J.T. n° 4769, p. 52, à propos d’un « article (qui) ne stipulait qu’un préavis de soixante jours » : « Combien de fois devra-t-on dire encore qu’on ne stipule qu’une condition ».

- 1972, J.T. n° 4789, p. 415, à propos du même usage : « Non, (la loi) dispose, parce que seule se stipule une condition, stipuler signifiant en droit romain, contracter par la paille ».

- 1988, J.T. n° 5467, p. 399 : « Stipuler, c’est préciser une clause. Disposer, c’est ériger en règle, établir, régler… On dit souvent par erreur que la loi stipule ».

Mais évidemment d’accord pour éviter « provision ». En langage juridique français, ce terme a plusieurs sens (la créance d’une somme d’argent que possède le tireur contre le tiré d’un effet de commerce, les sommes accordées par le juge du fond ou par le juge des référés en attendant le jugement définitif, la somme d’argent versée à un adversaire pour qu’il puisse faire face aux frais de l’instance, le montant permettant de constater en comptabilité la dépréciation d’un bien et les risques et charges qui ne sont pas encore réalisés mais que les circonstances rendent probables »… ». Mais il ne se confond jamais avec disposition.

 









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