Le 05 juin 2008
        Un bilan à l’image d’un visage… ou comment se plaidait, il n’y a pas si longtemps, la délinquance financière
 

Les élections de fin d’année judiciaire aux fonctions dirigeantes de l’Ordre des avocats sont à chaque fois l’un des moments forts de la vie professionnelle, tant le souci des confrères de présenter à leurs amis les candidats de leur choix entraîne une succession de colloques, de caucus et de réceptions qui leur permettent de vivre la confraternité de manière plus spontanée et chaleureuse que ce n’est généralement le cas dans les confrontations à la barre.

A l’une de ces réceptions, un stagiaire demandait aux plus anciens ce qui faisait une bonne plaidoirie. « A cette question, réagissait aussitôt Me Max Haberman feu Me José Vanderveeren, le grand pénaliste, répondait que c’était celle qui apportait au juge quelque chose de nouveau : il ne faut surtout pas, conseillait-il, plaider ce qui a été écrit en conclusions ». Me Frédéric Clément de Cléty, un autre confrère pénaliste, énonçait quelques conseils : « Parlez anormalement lentement : votre débit est toujours trop rapide. Variez de rythme. N’hésitez pas à prendre plaisir à la plaidoirie. Attaquez le dossier par un angle inattendu, créez la surprise. Soyez toujours humain, compatissez… ».

Pour ma part j’ai rappelé cette plaidoirie du Bâtonnier Van Pé, que j’avais évoquée à l’occasion d’un hommage rendu en 2001 à Jean-Louis Duplat, à l’initiative de Maurice Lippens. Appelé par mes fonctions au gouvernement à remettre à M. Duplat, qui sortait de charge comme président de la Commission Bancaire et Financière après avoir présidé le tribunal de commerce de Bruxelles, la décoration que venait de lui attribuer le Roi, j’évoquais le premier réquisitoire du premier substitut qu’il avait été en début de carrière et que j’avais entendu vingt-cinq ans plus tôt, alors que j’étais moi-même encore avocat stagiaire.




 

 

Il s’agissait d’une importante affaire de délinquance en col blanc, dans laquelle j’étais commis pour la partie civile. Face à Duplat, sur les bancs de la défense, se trouvaient rassemblés tous les ténors du barreau, rivalisant d’un talent oratoire exceptionnel encore qu’il eut été parfois plus approprié aux Assises qu’à la 22ème chambre correctionnelle.

Plaidant sur une prévention de faux bilan et le comparant au visage d’une jeune fille que le président du tribunal et lui-même avaient apparemment fréquentée sur les bancs de l’université, le Bâtonnier Van Pé osa ce propos :

« Rappelez-vous ce beau visage, Monsieur le Président : rappelez-vous l’harmonie de ses traits ! Avez-vous revu notre compagne depuis lors ? Le hasard a croisé récemment nos chemins. Savez-vous qu’au fil du temps, ce noble visage s’est flétri ? Un jour une cicatrice est apparue sur la joue gauche. Qu’a fait cette compagne d’études pour en effacer la trace et rétablir l’équilibre du visage ? Elle a simulé une cicatrice sur la joue droite ! Eh bien, Monsieur le Président, comment ne pas comprendre que lorsqu’une cicatrice apparaît au passif sur la joue droite du bilan, le chef d’entreprise puisse être amené irrésistiblement à en maquiller la joue gauche par une surévaluation de l’actif ? »

Qui plaiderait encore de la sorte aujourd’hui ?



 









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