3 - Vous pouvez me simplifier
tout cela ?
La « simplification fiscale
», n’est-ce pas déjà, en tant
que tel, une notion obscure pour le profane ? Puisque
votre tâche est de nous simplifier la vie, pouvez-vous
nous dire en quelques mots ce dont il s’agit ?
Bon ! Voici : fondamentalement,
la simplification des procédures fiscales consiste
à faciliter la vie des contribuables en établissant
des règles claires, prévisibles et équitables
et en assurant leur application de manière juste,
simple et limpide.
Il ne s’agit donc pas seulement
de ravaler les règles de forme qui régissent
l’établissement et la perception de l’impôt,
mais de revoir l’ensemble des processus qui y conduisent,
en principe ou en pratique.
C’est effectivement clair.
Chaque mot vaut son pesant d’or ! Mais, c’est
un vaste programme… Déclinez-moi cela concrètement,
svp !
Je me suis fixé trois objectifs.
D’abord renforcer la sécurité juridique,
c’est-à-dire améliorer la clarté
et la cohérence des réglementations fiscales.
Ensuite alléger la paperasserie, en réduisant
ou en facilitant les formalités administratives.
Enfin assurer un meilleur service des administrations
fiscales, en réorganisant les modalités
d’imposition et de contrôle et en réorientant
la mentalité de nos fonctionnaires.
La lumière sur les « zones grises »
La sécurité juridique
pour le contribuable, c’est en quelque sorte lui
permettre de savoir à quelle sauce il sera mangé
? Vous l'avez évoquée en novembre dernier
avec le concours de spécialistes lors d'un colloque
organisé avec la FEB et l’Institut d’études
sur la justice, en parlant notamment des « zones
grises » de la loi…
Le droit doit être fiable.
Chacun doit savoir ce qu’est la règle. C’est
fondamental, non seulement pour la démocratie,
mais aussi pour l’économie. Le développement
de l’économie va d’ailleurs toujours
de pair avec celui de la démocratie, notons le
en passant. Si la règle est incertaine, c’est
la porte ouverte à l’arbitraire du pouvoir
et à la crainte paralysante du citoyen et de l’administration.
Face à la complexité
de certaines lois ou règlements et à l’évolution
de leur interprétation, les contribuables se sentent
à juste titre démunis : ils sont menacés
de sanctions fondées sur des interprétations
a posteriori de la loi. Ils peuvent alors hésiter
à pratiquer certaines opérations, comme
le montre l’exemple déjà cité
de ce groupe qui, faute de sécurité juridique,
a dû renoncer à un investissement important
qui aurait été bénéfique pour
l’économie.
Quelles sont les causes de l’insécurité
fiscale ?
C’est, notamment, la volatilité
des lois – leur changement continuel, la multiplicité
des dispositions sur les mêmes matières,
leurs contradictions parfois, leur rétroactivité,
l’obscurité des textes, sans parler de dispositions
exorbitantes, comme en matière de preuve. C’est
aussi l’incohérence de certaines procédures,
et la variété des pratiques, un aspect qui
renvoie au problème de l’application uniforme
de la loi, à la motivation des décisions
administratives, de leur publicité, de l’accès
aux dossiers.
Mais simplifier, c’est plus
facile à dire qu’à faire ! Et si j'entends
bien votre raisonnement, c'est toute la litanie fiscale
qui est à réécrire !
Je suis juriste : je suis donc
familier de la complexité des textes légaux
en général, et conscient de ce que leur
rédaction est souvent une œuvre difficile.
Quels que soient les efforts en vue d’une simplification
des règles légales, leur complexité
ne pourra jamais être indéfiniment réduite.
Ceci résulte de la nécessité d’adapter
ces règles dans toute la mesure du possible aux
situations particulières, plutôt que de s’en
tenir à des principes généraux dont
l’application est laissée à l’appréciation
discrétionnaire de l’administration.
Mais, pour s’en tenir à
l’essentiel sans être trop technique, il faut
reconnaître qu’actuellement, de trop nombreux
textes de loi sont absolument impénétrables,
soit parce qu’ils sont totalement abscons, soit
parce qu’ils portent à de multiples interprétations.
Et je ne parle pas de l’illisibilité de circulaires
administratives ou de formulaires, que leurs rédacteurs
semblent parfois s’ingénier à rendre
aussi indigestes que possible.
Des exemples ?
Je pourrais vous citer le cas
ubuesque de la publication au Moniteur belge du 18 octobre
dernier d’une nouvelle loi sur les associations
sans but lucratif. L’encre du journal officiel n’était
pas encore sèche qu’il en publiait un premier
erratum ! Par la suite la reproduction du texte légal
est apparue à ce point truffée d'erreurs,
imputées à de mauvaises manipulations informatiques,
que l'habituel recours aux simples errata a paru insuffisant
pour rendre au texte toute la lisibilité qui doit
être la sienne. Il a fallu procéder à
une nouvelle publication de l’intégralité
de cette réforme !
Et voyez les difficultés
d'interprétation ! Prenez par exemple l’article
344, § 1er du code des impôts sur les revenus
(C.I.R. 92) : il interdit aux contribuables de se prévaloir
envers le fisc de toutes opérations susceptibles
de réduire leur charge fiscale qui ne correspondraient
pas à des besoins légitimes de caractère
financier ou économique. Que signifie concrètement
pareille notion ? On voit bien quelle a été
l’intention de ses auteurs ; mais comment faire
la part des choses dans la pratique ? Aucune réponse
satisfaisante ne m’a encore été fournie
à ce propos.
Au colloque que vous venez de
citer, Me Jean-Pierre Bours, professeur à l’université
de Liège, a rapporté plusieurs autres exemples
de textes impénétrables. Son rapport éclairant
est accessible sur mon site internet ; je vous y renvoie.
Vous évoquez l'absence
d'uniformité dans les procédures ?
Actuellement les entreprises sont
exposées à des contrôles polyvalents
de la part de la TVA et des contributions directes, ce
qui devrait simplifier les choses en principe mais les
complique en réalité parce qu’ils
se font selon des procédures et des délais
différents. C’est absurde. Et inacceptable,
parce que cela permet toutes les contorsions administratives
Cela signifie notamment qu'un
indépendant peut être amené à
étaler plusieurs fois sa comptabilité à
la demande de différents contrôleurs –
impôts directs et TVA – issus de la même
administration ?
Exactement ! Et que ce que l’administration
doit abandonner d’une main en vertu d’un code,
elle peut le reprendre de l’autre main en vertu
d’un autre code.
Il faut donc clarifier, harmoniser
et simplifier les réglementations, avec pour objectif
essentiel de garantir la transparence des décisions
et des procédures. Qu’est-ce qui a été
réalisé dans ce domaine ?
L’effort a d’abord
porté sur l’information complète et
loyale des contribuables et de leurs conseils, avec la
création de Fisconet en janvier 2002. Il s’agit
d’une banque de données fiscale complète
et conviviale, accessible gratuitement sur internet, où
ils peuvent facilement trouver, à l’aide
de moteurs de recherche performants, l’éventail
le plus large possible de toutes les données et
références fiscales. Y compris toute la
jurisprudence. Dans le passé la documentation publiée
par l’administration comportait déjà
des décisions de justice. Mais elles étaient
généralement toutes favorables au fisc,
comme par un curieux effet du hasard. Sur Fisconet, toute
la jurisprudence est publiée, quelle que soit son
orientation. C’est cela la loyauté dans l’information
du citoyen.
La réforme du ruling est
une autre réponse. Lorsque la loi est ambiguë
et laisse ainsi à l’administration une marge
d’appréciation incompatible avec la sécurité
juridique, le contribuable doit pouvoir obtenir une clarification
préalable sur le sort fiscal des opérations
qu’il envisage, dans le cadre d’un accord
auquel se tiendra l’administration C’est ce
que prévoit le nouveau système du ruling,
introduit par la loi de réforme de l’impôt
des sociétés.
Dans le même ordre d’idées,
j’ai introduit l’obligation pour l’administration
de motiver les accroissements d’impôt et de
mentionner les voies de recours sur les actes administratifs.
Sans parler d’autres mesures, fort techniques, dont
je vous fais grâce…
Trop de sécurité
nuit à la sécurité
Lors du colloque précité
à la FEB, vous avez relevé un autre paradoxe
: vous vous êtes demandé si à force
de poursuivre la sécurité juridique, l’administration
ne la met pas en péril ?
Le souci de l’administration
de « bétonner » autant que possible
les codes fiscaux pour garantir le paiement de l’impôt
est évidemment légitime. Mais en resserrant
excessivement la vis, tant dans l’écriture
de la loi que dans sa pratique, elle complique démesurément
la vie des contribuables, sans parler de la sienne propre,
et perd de vue les conséquences de son attitude
sur la vie économique. Face aux mécanismes
d’évasion fiscale, la crainte de tout gap,
de tout loophole, de toute possibilité de voir
contournées ses prescriptions, voire ses objectifs,
la pousse à multiplier les mesures préventives,
à additionner des dispositions particulières
ou des exceptions au droit commun, pour lesquelles il
est fait recours à des notions aussi peu précises
qu’enveloppantes, toujours plus vagues. D’où
immédiatement des contre-mesures des contribuables,
et de nouvelles formes d’ingénierie fiscale.
Un peu comme des virus informatiques, on en arrive à
une course sans fin, épuisante. La loi en devient
excessive, impraticable et d’ailleurs bien souvent
quasi illisible !
Et, dans sa pratique, au quotidien,
l’administration finit trop souvent par déboucher
sur une application de la loi qui ne tient pas compte
de l’esprit du législateur, voire qui résulte
d’a priori et de préjugés. Une telle
appréhension de la loi conduit alors à des
interprétations d’un même texte qui
peuvent varier de service à service.
Sur quoi cela débouche-t-il
? Tout cela, au contraire du résultat espéré,
ne complique-t-il pas la lutte contre l’évasion
fiscale, voire ne la stimule-t-elle pas ? La question
mérite assurément d’être posée.
Ne serait-il pas plus sage de renoncer à cette
course, quand on voit le prix qu’en paie le contribuable,
l’économie, mais aussi l’administration
elle-même ?
Vous voulez dire que le fisc lui-même
ne sait plus très bien où finit l’ingénierie
et où commence la fraude ? Les difficultés
d'interprétation ne seraient pas l'apanage des
seuls conseillers fiscaux opérant pour des entreprises
privées ?
Absolument pas. Elles mettent
l’administration tout aussi mal à l’aise.
Comment voulez-vous qu’elle s’investisse efficacement
dans la lutte contre des montages qu’elle estime
critiquables si des textes légaux ambigus laissent
subsister ce qu’on appelle des « zones grises
» : de crainte de voir jugée excessive par
les tribunaux l’application qu’elle ferait
de certaines dispositions imprécises, elle se retrouve
parfois paralysée dans son action contre certaines
pratiques. Personne ne trouve donc son compte dans l’équivoque
de la loi.
J’ai vécu à
cet égard une expérience éloquente
dans le cadre de l’analyse de l’ingénierie
fiscale de certains pouvoirs publics que la presse a mis
en exergue il y a deux ans… Car il n’y a évidemment
pas que le secteur privé qui recherche la voie
la moins imposée !
Vous faites allusion aux fameuses
autoroutes wallonnes à péage, qui sont…
gratuites !
Notamment. Des autoroutes à
péage en Wallonie, vous n’en avez jamais
vues, direz-vous. Et pourtant, elles existent, avec une
particularité qui n’est pas sans avantage
pour les usagers, comme pour la Région : elles
sont gratuites. Mieux, elles donnent même droit
à une facture permettant à l’usager
assujetti de récupérer la TVA relative à
ce péage… qu’il n’a pas payé,
et à la Région d’en faire l’économie
!
Le système n’est
pas propre au Sud du pays ; c’est même le
Nord qui en a donné l’exemple, dans le domaine
de la construction de stations d’épuration.
Pour être en mesure d’économiser la
TVA sur des travaux importants d’infrastructure,
certaines collectivités publiques ont eu recours
à l’interposition d’une société
« amie » assujettie, qui les érige,
les finance et les exploite. En adressant régulièrement
une facture à leur cliente, soit un péage
dans le cas des autoroutes wallonnes. Un péage
payé par la Région plutôt que par
l’utilisateur.
S’agit-il de fraude fiscale,
d’évasion fiscale ou d’optimisation
fiscale ? Y a-t-il simulation ? Ayant été
chargé d’enquêter sur cette affaire,
je me suis trouvé face à des avis diamétralement
opposés des deux services consultés ! J’ai
alors posé la question de savoir sur la base de
quels critères ces notions peuvent être appréciées
objectivement, dans les faits ? J’attends toujours…
Et vous en tirez quelle leçon
?
A mon sens il est vain de vouloir
à tout prix fermer toute porte à l’ingénierie
fiscale. Je l’ai déjà dit : on en
arrive à des textes nuisibles au développement
de l’économie, tout en étant impraticables.
Je fais d’ailleurs le même
raisonnement pour les contrôles fiscaux. Au vu de
ce qu’ils rapportent en net et de ce que coûterait
une administration moins tatillonne, je suis convaincu
qu’une application plus humaine de la loi serait
en fin de compte tout bénéfice pour le fisc,
compte tenu de l’effet de retour économique.
S’attaquer à la paperasserie
Venons-en à la paperasserie.
Il y a évidemment la simplification administrative,
mais il faut aussi appliquer en force les techniques informatiques.
Oui. Il s’agissait tout
d’abord, à la demande de divers intéressés,
citoyens ou entreprises, de leur faciliter la vie en supprimant
ou en simplifiant une série de formalités
administratives. Ici encore, les réalisations sont
nombreuses, mais je me bornerai à quelques exemples.
Avant d’attribuer un logement
social, les sociétés du secteur devaient
vérifier auprès de l’administration
fiscale l’exactitude des renseignements fournis
par les demandeurs sur leur état de fortune, d’où
des correspondances et des démarches fastidieuses,
et d’inévitables délais. Nous avons
remplacé cela par une déclaration sur l’honneur
et une vérification a posteriori.
Le formulaire papier de déclaration
à la TVA était compliqué. Nous l’avons
simplifié : depuis janvier 2002, il tient en une
seule feuille de format A4. Il n’y a plus d’annexes
à adresser.
A chaque fois que vous passez
à la caisse de votre supermarché ou de votre
épicier, vous recevez un ticket. Vous vous empressez
évidemment de le jeter à la sortie. Mais
savez-vous que votre fournisseur devait conserver une
copie papier de tous les tickets de caisse qu’il
avait émis, et ce pendant dix ans ? A travers le
pays existaient ainsi des entrepôts inutiles, où,
en attendant un contrôle hypothétique et
aussi illusoire, compte tenu des volumes stockés,
dormaient des montagnes de papier. La Fedis m’a
demandé de simplifier. C’est chose faite
aujourd’hui : la durée de stockage a été
réduite de moitié et les données
peuvent être conservées sur support électronique.
Les professionnels du secteur
de l’automobile devaient jusqu’à présent
tenir trois registres. Un nouveau registre simplifié
a été conçu en liaison avec Federauto…
Vous m’avez parlé
d’une disposition qu’on appelle la clause
Kafka dans le jargon du Conseil des ministres ? De quoi
s’agit?il ?
Depuis le 1er novembre dernier,
chaque proposition de décision qu’un ministre
soumet au gouvernement doit être accompagnée
d’une évaluation de son impact en termes
de charges administratives nouvelles pour nos concitoyens
et pour les entreprises, et indiquer les mesures prises
pour réduire autant que possible les tracasseries.
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