Préface, par Paul Martens
On annonce depuis si longtemps la mort
de la vieille loi du 18 avril 1851 que les faiseurs de traités
commençaient à faire penser aux journalistes
qui ont, toute faite, la biographie d'une célébrité qui
tarde à mourir : ils ont chacun, prêt à sortir
de leurs tiroirs, un ouvrage qui viendra prendre la place des
vieux manuels. Mais jusqu'ici, il y eut tant de projets de
réformes qu'ils ont dû chaque fois se remettre
au travail pour adapter leur oeuvre au dernier état
du dernier projet.
Les commercialistes de pays voisins
ne sont pas plus heureux que leurs collègues belges mais pour une autre raison
: là, la loi fut si souvent changée que les manuels
qui se sont hasardés à sortir sont passés
de la presse au pilon : pour les faiseurs de traités,
la logorrhée du législateur n'est pas moins funeste
que son aphasie.
Mais voici que des projets ont
enfin franchi l'épreuve
de la promulgation. On devin e que nombre d'études que
l'aboulie du législateur avaient laissées inabouties
subissent les derniers coups de peigne qui leur permettront
de faire leur entrée dans le monde juridique. Celui
d'Alain Zenner n'est ni le premier ni certainement le dernier.
Mais on imagine mal de pouvoir en lire qui reflète aussi
fidèlement la genèse des nouvelles lois et qui
nous mène aussi utilement dans leur dédale.
Matière fondamentale du droit économique, intéressant
tout autant les mondes de l'économie, du travail et
de la finance, le droit de la faillite et du concordat ne pouvait
se réformer sans que chacun de ces mondes fît
entendre ses représentants. Ici, le lobbying s'est dépouillé de
ce qu'il a de plus détestable : sa clandestinité.
Au cours des auditions qui eurent lieu devant la commission
de la Chambre chargée des problèmes de droit
commercial et économique, furent entendus des représentants
: de la F.E.B., des classes moyennes, des syndicats, des banques,
du Fonds d'indemnisation des travailleurs licenciés
en cas de fermeture d'entreprise, du corps académique,
des curateurs, des greffiers, des présidents de tribunaux
de commerce et de la Cour de cassation (Doc. parl., Chambre,
1991-1992 (S.E.), n° 631-13, pp. 58 à 104). Notre époque
est celle des opinions sondées plutôt que des
vérités imposées. Il ne faut pas s'en
plaindre : c'est la rançon de l'éparpillement
des valeurs propre au pluralisme démocratique.
En présence d'une telle polyphonie d'intérêts,
il fallait trouver un homme qui fût capable, avec autant
de sérénité scientifique que de lucidité pragmatique,
de rende compte des sensibilités divergentes qui ont
concouru à l'enfantement des lois nouvelles.
Alain Zenner
est cet homme pluriel, capable d'appréhender
les opinions contraires et d'en respecter les desseins.
Il fut
naguère curateur de quelques unes des plus retentissantes
faillites bruxelloises. Il y fut l'initiateur de quelques pratiques
aussi audacieuses que bénéfiques - on pense notamment à la
poursuite d'activités dans la faillite de l'orfèvrerie
Wiskemann, menée avec un éclatant succès
puisqu'un dividende de 156% (principal et intérêts
cumulés) put être payé aux créanciers
chirographaires.
On le vit contribuer à l'édification d'une jurisprudence
novatrice dans quelques-uns des domaines les plus archaïques
ou les plus confus du droit commercial, qu'il s'agisse du problème
des droits de la défense dans les procédures
collectives, des droits des travailleurs ou de la responsabilité des
dirigeants. On connaît son apport doctrinal décisif à des
matières avant lui aussi obscures que celles des dettes
de masse ou de la responsabilité du donneur de crédit.
Puis,
curieux de vivre autrement l'expérience de la
difficulté économique, il devint chef de cabinet
technique du Ministre de l'économie wallonne où il
s'occupa de restructuration d'entreprises en difficulté.
Ensuite,
cet homme qui s'était tant consacré à l'application
et à l'interprétation des textes se mit en tête
de participer à leur confection. Après s'être
mêlé aux tâches judiciaires et exécutives
il participe désormais à l'activité législatrice.
Auteur de plusieurs propositions de réforme du droit
de la faillite, ainsi que le mentionnent les parlementaires
qui les ont déposées, il devint lui-même
député bruxellois. Si la matière de la
faillite et du concordat n'est pas de la compétence
de l'assemblée dont il fait partie, on devine qu'il
a pris une part capitale aux entretiens politiques qui ont
préparé certains amendements.
Et puis voilà qu'au moment où il se retirait
dans le recueillement de l'écriture pour préparer
le présent ouvrage, Alain Zenner fut propulsé à l'avant-plan
de l'actualité par les péripéties de la
faillite des forges de Clabecq et de leur reprise d'activité.
Il
est rare qu'un juriste joue des rôles aussi majeurs
successivement dans l'élaboration du droit, dans la
tourmente de son application et dans l'écriture de son
commentaire. C'est ce qui explique que son ouvrage marie harmonieusement
les qualités indispensables à la lisibilité et à l'utilité d'un
traité : on y sent une connaissance économique
des problèmes confiés aux soins du juriste et
la vision prospective des deux nouvelles lois est enrichie
par une référence constante aux travaux qui les
ont préparées.
Ne surestimons par les vertus
novatrices des deux nouvelles lois : elles sont plus virtuelles
qu'affirmées. Ainsi,
elles consacrent essentiellement des droits nouveaux à l'information
de tous les acteurs concernés, ce qui leur confère
un droit d'intervenir et impose peut-être au juge un
devoir de les écouter. Encore faudra-t-il que les intéressés
usent de ce droit et que les juges accomplissent ce devoir.
Ce qui est en promesse dans la loi suppose l'avènement
d'une nouvelle culture judiciaire - si l'expression n'est pas
déjà trop éculée pour n'avoir plus
qu'une vertu d'affichage.
On sait comment les lois se font
aujourd'hui. Le législateur
ne s'autorise plus à faire triompher une idéologie,
il s'efforce de les flatter toutes. Ce que la loi perd en clarté elle
le donne au juge, en, créativité, et c'est lui
qui prêtera aux textes un sens que leur lecture ne révèle
pas.
L'ouvrage d'Alain Zenner aidera
les plaideurs et les juges à donner
consistance à une réforme que le législateur
permet sans l'accomplir lui-même. Mais c'est ainsi que
se fait désormais le droit : le politique délègue
au judiciaire ce qu'il n'ose plus décider.
C'est pour
cela que les juges et ceux qui les saisissent ont plus que
jamais besoin d'une
doctrine, attentive à nourrir
leur réflexion, capable de susciter leurs audaces sans
les rendre téméraires, vigilante à prévenir
leurs erreurs ou à corriger leurs travers puisque la
solution des litiges n'est plus dans le commandement de la
loi mais dans la pesée des intérêts dont
elle organise l'expression.