Présentation du livre

Après trente années de projets et dix ans de discussion, la réforme du droit des entreprises en difficulté, organisée par les lois des 17 juillet et 8 août 1997, est entrée en vigueur le 1er janvier 1998.

La nécessité de cette réforme était évidente. La loi qui régissait les faillites datait de 1851, et celle sur les concordats de 1948. Ces lois avaient été conçues pour une autre époque. Elles n’envisageaient autre chose que la faillite de boutiquiers, au demeurant exceptionnelle : dans la période de quinze ans allant de 1830 à 1844, il n’y avait pas dix faillites par an dans tout le pays ! Demeurées inchangées, elles se trouvaient depuis longtemps dépassées par les faits. D’où ce constat du Professeur de Leval, en 1984 : Le droit de la faillite, c’est trop souvent la faillite du droit. Aussi le législateur de 1997 a-t-il voulu instituer un cadre plus approprié pour faire face aux difficultés d’entreprises.

La réforme de 1997. Grandes lignes. Cette réforme a d’abord comporté un volet préventif. Une série de nouvelles mesures de sauvegarde ont été prévues en cas de pertes financières, subies ou prévues : les délibérations obligatoires des administrateurs et gérants, la procédure d’alerte des commissaires-réviseurs, l’intervention des organismes régionaux d’assistance aux entreprise en difficulté. Le dépistage et les enquêtes commerciales des tribunaux de commerce ont été réorganisés. Un dessaisissement provisoire du commerçant défaillant a été prévu en cas d’absolue nécessité.

La réglementation du concordat a été totalement repensée. Le nouveau concordat a depuis lors pour fonction essentielle d’assurer la continuité de l’entreprise lorsque celle-ci est menacée. Les conditions, le déroulement et les effets de cette procédure ont été fondamentalement réaménagés.

Le régime de la faillite a été mis au jour. Mais, au-delà d’un « lifting », la réforme a apporté de nombreuses innovations importantes, comme la suppression de la faillite d’office, l’excusabilité et la décharge du failli et la consécration des droits du vendeur en matière de réserve de propriété et de privilège.

Enfin le volet répressif du droit de l’entreprise en difficulté a été adapté. Les créanciers lésés ont été autorisés à demander au tribunal de commerce de prononcer des interdictions professionnelles à l’égard des dirigeants de droit ou de fait ayant contribué à la faillite par une faute grave et caractérisée. Une nouvelle infraction, l’abus de biens sociaux, a été instituée : elle sanctionne tout dirigeant d’une société ou d’une asbl qui a fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage significativement préjudiciable à celle-ci ou à ses créanciers ou associés.

Peu après la réforme, Me Alain Zenner a consacré au droit des entreprises en difficulté un traité publié par la maison Larcier en 1998 sous le titre Dépistage, Faillites & concordats. La critique et la pratique ont manifestement apprécié cet ouvrage, qui a par ailleurs été couronné par le prix scientifique de la Fondation Jean Bastin.

Limites de la réforme. Evaluation juridique. Comme toute réforme, celle-ci comportait des limites.

Au milieu du siècle dernier Renouard écrivait déjà que ni les enseignements de la pratique la plus expérimentée, ni les recherches de la science la plus vaste, ni les ressources de l’esprit le plus délié, ni les combinaisons de la prévoyance la plus sage, ne supprimeront jamais en cette matière les difficultés qui tiennent à sa nature et qui mêlent leurs inévitables inconvénients à toutes les imperfections du législateur. Tout le monde perd dans une faillite ; la sagesse consiste non à empêcher ou à prévenir des sacrifices forcés, mais à les mesurer et à les coordonner. Or, on impute facilement à la loi des maux qui dérivent de la nécessité à laquelle la loi doit obéir ; et comme dans aucun temps ni dans aucun pays du monde, une loi n’empêchera pas que toute faillite ne soit une fort mauvaise affaire, il est à présumer que partout et toujours on se plaindra des législations sur les faillites.

Conscient de certaines des limites de sa réforme, le ministre de la Justice de l’époque, Stefaan De Clerck, avait déclaré avoir prévu « une période d’évaluation » d’un an. De son côté, en sa qualité de ministre de l’Economie, M. Di Rupo avait aussitôt relancé la réflexion en organisant un débat entre spécialistes, mis sur pied par l’administration de la politique commerciale de son département.

On pouvait donc s’attendre à ce que dans notre pays à l’exemple de pays voisins, à l’aphasie du législateur succède une certaine aboulie.

A peine l’encre législative de 1997 était-elle sèche, que de nouvelles modifications parurent nécessaires. Dès 1998, le nouveau régime fit l’objet d’une première retouche par une loi attributive de compétence du 27 mai 1998. Une deuxième retouche y fut apportée par une loi interprétative du 12 mars 2000 en matière de réserve de propriété.

Puis, plus fondamentalement, fut entreprise l’« évaluation juridique » du régime nouveau annoncée par M. De Clercq.

La loi de « réparation » du 4 septembre 2002. Commencée par le ministre de la justice Tony Van Parys sous la législature précédente, cette évaluation fut poursuivie par son successeur Marc Verwilghen. Elle a éclairé diverses lacunes. A l’issue d’un long parcours parlementaire, marqué par l’adoption d’amendements significatifs dans les deux assemblées, les propositions et projets de loi déposés pour les corriger ont débouché sur une loi dite « de réparation » promulguée le 4 septembre 2002.

Celle-ci apporte une série d’innovations dont la majorité sont d’ordre technique ; elles tendent à simplifier certaines formalités, à clarifier certaines dispositions existantes ou à mieux contrer certaines manœuvres de retardement du failli. Quatre autres innovations sont plus fondamentales.

Failli innocent mieux protégé. L’innovation la plus marquante de la loi de réparation concerne l’excusabilité du failli.

Depuis 1998, le failli peut être excusé par le tribunal de commerce : il est dans ce cas déchargé de son passif financier et réhabilité moralement. En d’autres termes, son ardoise est effacée. Mais les dispositions légales adoptées en 1997 prêtaient à beaucoup d’incertitudes d’interprétation sur les conditions d’octroi de l’excusabilité, sur ses effets connexes et sur la procédure y relative. Tout cela a été clarifié.

Pour les personnes physiques, l’excusabilité sera désormais la règle. Elle reste toutefois une mesure de faveur en ce sens que les tribunaux pourront la refuser en cas de faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite. Elle entraînera l’exctinction de toutes les dettes du failli, à l’exception de ses dettes alimentaires et de celles résultant de l’obligation de réparer le dommage lié au décès ou à l’atteinte à l’intégrité physique d’une personne qu’il a causé par sa faute. L’excusabilité profitera aussi à ceux qui ont garanti bénévolement les dettes du failli.

La procédure est par ailleurs améliorée : le failli y sera notamment entendu pour faire valoir ses droits.

Les sociétés, par contre, ne pourront plus bénéficier de l’excusabilité.

Faciliter la mise en cause de la responsabilité des dirigeants d’entreprise. En cas de faute grave et caractérisée, la mise en cause de la responsabilité des dirigeants de l’entreprise faillie sera en revanche facilitée.

Depuis plus de vingt ans, les administrateurs et gérants et les dirigeants de droit ou de fait de sociétés faillies qui ont commis une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite sont susceptibles d’encourir une interdiction professionnelle et d’être condamnés à payer tout ou partie du passif.

La procédure d’interdiction professionnelle est rapide et, depuis 1997, elle peut être engagée par tout créancier impayé. Mais jusqu’ici seuls les curateurs pouvaient demander des dommages-intérêts en réparation des fautes commises par les dirigeants. Or les curateurs, pressés de clôturer la faillite, étaient peu enclins à engager des procédures. D’autant plus que, leur résultat étant englobé dans le produit de la liquidation, ces procédures ne permettaient pas nécessairement de couvrir le dommage des créanciers effectivement lésés. De la sorte, rares étaient les cas dans lesquels cette responsabilité aggravée des dirigeants était mise en cause.

Sans pour autant changer les conditions de cette responsabilité spécifique, le législateur a voulu faciliter sa mise en cause : l’action sera désormais recevable tant de la part des créanciers que des curateurs, ce qui revient à dire que chaque personne lésée par une faute grave et caractérisée ayant contribué à la faillite d’une entreprise pourra demander réparation à ses dirigeants.

Voir plus clair dans les causes et la situation de la faillite. Autre nouveauté : les curateurs devront désormais établir un bilan de liquidation.

L’existence de pareil bilan, à la date du jugement déclaratif, est essentielle. Sans ce document, aucune perspective de liquidation ne peut être tracée. Il est aussi nécessaire pour mettre le juge-commissaire en mesure de contrôler efficacement l’action du curateur. L’examen de la comptabilité du failli doit également permettre de voir plus clair sur les causes et circonstances de la faillite, et déceler les fraudes et les fautes qui auraient été commises.

D’où l’obligation faite aux curateurs, dans toutes les faillites où il y a quelqu’actif, de vérifier les livres et écritures du failli et de corriger le bilan déposé au moment de l’aveu, ou à défaut de l’établir. Pour que ce travail soit fait sérieusement, les curateurs sont désormais autorisés à recourir au concours d’un expert-comptable.

Dans ce domaine le législateur a aussi voulu inciter les administrateurs et gérants des sociétés faillies à veiller au respect strict de leurs obligations en permettant au juge de les sanctionner le cas échéant. Ainsi a-t-il prévu que lorsque le bilan n’a pas été déposé lors de l’aveu de la cessation de paiements ou lorsque sa vérification a fait apparaître la nécessité de redressements significatifs, le tribunal pourra condamner solidairement les administrateurs et gérants de la société faillie au paiement des frais de confection du bilan.

Notez encore que ce bilan sera déposé au greffe du tribunal de commerce où il pourra être consulté par tout intéressé : les créanciers seront ainsi mieux informés de la situation de la faillite.

Prévenir les conflits d’intérêts. Transparence oblige : des mesures visent à prévenir les conflits d’intérêts dans le chef de curateurs.

L’indépendance absolue des curateurs est essentielle pour la bonne exécution de leur mission. Comment le mandataire de justice pourrait-il être impartial lorsqu’il a été l’avocat d’administrateurs de la société faillie, ou encore lorsque le banquier du failli a pour conseil l’un de ses associés ? Dans de telles circonstances le jugement que porte le curateur sur l’opportunité d’une action en responsabilité ou sur la validité d’une sûreté peut évidemment paraître biaisé.

Des dispositions ont été adoptées pour éviter ces situations : le curateur devra signaler au président du tribunal toute forme de conflit d’intérêts ou d’apparence de partialité. Il devra plus particulièrement lui signaler le cas échéant que lui-même ou l’un de ses associés ou collaborateurs directs a accompli des prestations au bénéfice du failli ou des gérants et administrateurs de la société faillie, ou encore au bénéfice d’un créancier, au cours des dix-huit derniers mois précédant le jugement déclaratif de la faillite. Le président appréciera s’il y a ou non risque de conflit d’intérêt et fera éventuellement remplacer le curateur. Ici encore les déclarations du curateur seront versées au dossier de la faillite dans un souci de totale transparence.

Faillites intracommunautaires transnationales. Une autre innovation fondamentale dans le droit des entreprises en difficulté réside dans l’entrée en vigueur, le 31 mai 2002, du Règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, qui, au sein de l’Union européenne, régit toutes les procédures d’insolvabilité transfrontalières ouvertes depuis lors.

Ce règlement assure la reconnaissance dans tous les Etats membres des faillites déclarées dans l’un d’eux. Il permet aux tribunaux d’un Etat membre de prononcer la faillite secondaire de l’établissement local d’une entreprise déclarée en faillite dans un autre Etat membre. Il comporte également une série de dispositions qui ont pour objet d’assurer une nécessaire coordination entre la procédure principale et les éventuelles procédures secondaires.

La pratique de la réforme. Examen de doctrine et de jurisprudence. Le nouvel ouvrage de Me Zenner est non seulement consacré à ces nouvelles dispositions légales et réglementaires, mais aussi à la pratique de la réforme de 1997, c'est-à-dire à un examen exhaustif de la jurisprudence et de la doctrine publiées depuis lors.

En l’espèce, celles-ci sont particulièrement importantes, car la réforme de 1997 a laissé beaucoup de marge aux juges.

C’est d’ailleurs ce qui amena à l’époque M. Paul Martens, juge à la Cour d’Arbitrage et professeur aux universités de Liège et de Bruxelles, où il enseigne la philosophie du droit, à écrire, dans sa préface au traité de Me Zenner, cette considération :

Ne surestimons pas les vertus novatrices des deux nouvelles lois : elles sont plus virtuelles qu’affirmées. [… ] Ce qui est en promesse dans la loi suppose l’avènement d’une nouvelle culture judiciaire – si l’expression n’est pas déjà trop éculée pour avoir davantage qu’une vertu d’affichage.

On sait comment les lois se font aujourd’hui. Le législateur ne s’autorise plus à faire triompher une idéologie. Il s’efforce de les flatter toutes. Ce que la loi perd en clarté, elle le donne au juge, en créativité, et c’est lui qui prêtera aux textes un sens que leur lecture ne révèle pas.

[…] c’est ainsi que se fait désormais le droit : le politique délègue au judiciaire ce qu’il n’ose plus décider.

Une autre réforme en vue pour le concordat. Le projet de loi de « réparation » déposé par le ministre de la Justice comportait aussi diverses dispositions relatives au concordat judiciaire. Cette matière parut cependant à ce point complexe que le ministre décida de disjoindre la réforme du concordat de celle de la faillite. En cours d’examen du projet de loi de « réparation » à la Chambre, le ministre en fit dès lors soustraire les dispositions en cause, en annonçant qu’ils feraient ultérieurement l’objet d’une initiative parlementaire distincte.

Compte tenu de l’agenda législatif, cette initiative n’a cependant pas pu être prise sous la législature actuelle. M. Zenner envisage de déposer à la rentrée une proposition de loi en ce sens. L’objet en sera essentiellement de simplifier la procédure et d’en alléger le coût, de clarifier une série de dispositions légales qui prêtent aujourd’hui à controverse et font obstacle au recours à la procédure concordataire comme technique de restructuration, et de faciliter la prévention des fermetures d’entreprises en développant le dépistage et en instaurant des passerelles plus efficaces entre concordat et faillite.

L’ouvrage de Me Zenner aborde plusieurs de ces aspects, notamment dans le compte rendu et les commentaires qu’il livre des trois concordats importants qui ont marqué l’actualité judiciaire récente : ceux de Lernout & Hauspie, de la Sabena et de City-Bird.

Public cible. L’ouvrage que publie la Maison Larcier aujourd’hui ambitionne d’actualiser l’exposé complet de la matière du droit des entreprises en difficulté que comportait le traité de Me Zenner de 1998. Il s’adresse évidemment à tous ceux qui sont confrontés à un concordat ou une faillite ou aux risques de ces procédures dans leur pratique quotidienne : débiteur concordataire ou failli, créanciers, travailleurs, avocats, curateurs, experts-comptables, réviseurs, représentants syndicaux. Mais, dans la mesure où la réforme affecte aussi les obligations et responsabilités des actionnaires, des dirigeants et des contrôleurs des sociétés commerciales, indépendamment de toute faillite ou de tout concordat, il peut intéresser tous les acteurs de la vie économique.



Zenner (Alain), Faillites et concordats 2002. La réforme de la réforme et sa pratique, Bruxelles, Editions De Boeck & Larcier (collection "Les dossiers du Journal des Tribunaux", n° 38), 2003, 492 p.