Extrait de la Revue de la Banque, n° 08/2000, pp. 550-552

Alain Zenner, avocat au barreau de Bruxelles, introduisait son traité "Dépistage, Faillites & Concordats", publié chez Larcier en 1998, par une judicieuse citation de H. De Page : "Les juristes excellent toujours à manier les principes avec une virtuosité étonnante sans doute, mais [...] en oubliant les réalités. C'est pour ces réalités que la droit est fait, et non pour la beauté des principes." (Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, 1942, n° 860).

Le souci de rigueur juridique allié à un sens aigu de concret qui caractérise ce traité se retrouve également dans le nouveau Dossier du Journal des Tribunaux consacré par Alain Zenner à la mise à jour de son traité au 1er janvier 2000.

Ce nouveau Dossier tire, après deux ans de pratique, les premiers enseignements de la réforme du droit de la faillite et du concordat, organisé par les lois des 17 juillet et 8 août 1997 entrées en vigueur le 1er janvier 1998, au travers de l'examen de la doctrine et de la jurisprudence publiées.

L'ouvrage, qui fourmille de références intéressantes, s'articule autour des principales questions abordées ou suscitées par cette nouvelle législation et cherche à dégager, lorsque cela s'avère possible, les réponses pratiques aux difficultés soulevées par sa mise en oeuvre.

Dans un Chapitre introductif consacré au Généralités, l'auteur effectue une première évaluation du succès et de l'efficacité de la nouvelle législation pour constater que celle-ci, particulièrement en ce qui concerne le concordat, est relativement décevante. Relevant certains aspects liés à l'entrée en vigueur de cette législation, l'auteur constate plus particulièrement les difficultés susceptibles de surgir en ce qui concerne son application aux procédures de faillite en cours. Afin de replacer cette législation dans son contexte général, M. Zenner rappelle les éléments essentiels des nouvelles dispositions relatives au règlement collectif de dettes destiné aux non-commerçants ainsi que certaines dispositions légales et réglementaires moins connues du grand public et qui intègrent depuis peu des aspects liés aux faillites et aux concordats, notamment en ce qui concerne les établissements de crédit.

Dans un second Chapitre, l'auteur se centre sur les Mesures de sauvegarde antérieures au concordat et à la faillite. On y relève notamment d'intéressantes considérations relative à la procédure de dessaisissement provisoire destinée à protéger le patrimoine du débiteur dans la perspective d'une éventuelle faillite, substitut recherché à la suppression de la faillite d'office. On constate également l'intérêt croissant accordé au problème de l'admissibilité, aux yeux du droit européen, des aides d'Etat destinées au sauvetage des entreprises en difficulté.

Parmi les questions classiques liées à la Faillite du débiteur et abordées au Chapitre III, le Dossier aborde entre autres celles découlant de la mise en oeuvre de la législation nouvelle. On lira notamment le résultat des réflexions et des premiers procès relatifs à la portée et aux conséquences d'un jugement d'excusabilité du failli et à la décharge qui en résulte, particulièrement à l'égard des tiers garants de ce failli. La portée exacte de l'opposabilité de la clause de réserve de propriété (limitée à la faillite et non au concordat?) ainsi que des conditions de sa mise en oeuvre (la notion d'"écrit" notamment) a fait couler de l'encre et donnera encore aux juristes matière à discussion.

L'auteur rappelle par ailleurs la nature et la portée de l'intervention du tribunal dans le cadre de la procédure de vente de gré à gré prévue à l'article 1193ter du Code Judiciaire, l'interprétation mal comprise de cet article donnant souvent lieu en pratique à des applications erronées. Il met également l'accent sur le fait que le critère décisif de cette procédure est et reste l'intérêt des créanciers. Le praticien trouvera une partie de ce chapitre consacrée aux hypothèques et privilèges les plus communément rencontrés en cette matière et aux dernières évolutions recensées à cet égard. On s'étonnera toutefois de l'absence de commentaires critiques à l'égard de l'article 6 de l'AR du 10 août 1998 relatifs aux frais et honoraires du curateur qui réalise un immeuble hypothéqué (MB du 8 septembre 1998, p. 28810) et qui, en mettant ces frais et honoraires à charge des créanciers inscrits en proportion de leur droits, modifie sans base légale apparente, l'organisation des privilèges figurant dans la loi hypothécaire.

Le Chapitre VI présente un intérêt tout particulier puisque retrace les premières applications de la réglementation relative à la nouvelle formule du Concordat ainsi que les réflexions suscitées par celles-ci. Dans sa conception actuelle, le concordat a pour objectif d'assurer la continuité de l'entreprise dans la mesure où son redressement peut être assuré dans le délai de la procédure concordataire et en l'absence de mauvaise foi manifeste. Concrètement, on constate toutefois que le concordat n'est sollicité que pour échapper à une faillite imminente même si les créanciers se prêtent en général au jeu avec bonne volonté, conscients des conséquences néfastes d'une faillite sur la récupération de leur créance.

L'auteur relève, au travers des décisions de justice analysées, les difficultés concrètes rencontrées par les juridictions de commerce dans l'appréciation des conditions d'obtention du concordat, particulièrement en ce qui concerne le caractère temporaire des difficultés financières du débiteur et la réalité de ses chances de redressement.

Sur un plan technique, le calcul des majorités à effectuer dans le cadre des votes intervenant en cours de procédure concordataire fait surgir de nombreuses questions pratiques dont certaines restent encore en suspens.

L'attention est attirée sur l'importance à attacher à la description du rôle du commissaire au sursis dans la mesure où cette description définit, par voie de conséquence, l'étendue de l'incapacité du débiteur concordataire. Dans le même contexte, l'auteur constate avec sagesse l'incompatibilité avec l'indépendance nécessaire du curateur et la déontologie du barreau de nommer curateur celui qui a exercé auparavant les fonctions de commissaire au sursis du concordat.

D'une façon générale, les conséquences juridiques de l'ouverture d'une procédure concordataire sont loin d'être claires. En particulier, la question fondamentale de la survenance d'un concours continue à agiter les esprits et n'a toujours pas trouvé de solution ce qui, en pratique, pose de sérieuses difficultés dans une série de cas concrets. Face à la divergence des opinions, Me Zenner propose une position intéressante et nuancée.

L'absence d'effet des clauses de résiliation/résolution des contrats en cours liées à la demande ou à l'octroi d'un concordat constitue également un sujet délicat. La jurisprudence relative à la suspension ou la résiliation des ouvertures de crédits bancaires en particulier relance la problématique de l'abus de droit dans les contrats en cours lorsque ces mesures apparaissent indirectement liées à la survenance d'un concordat.

Une autre question intéressante, et non encore résolue, est celle des dettes "hors" concordat qui, en cas de faillite doivent être payées par préférence. Les conditions exactes et la portée de ce "super privilège" posent des problèmes d'interprétation délicats auxquels l'auteur tente d'apporter une solution satisfaisante.

Les différents points évoqués ci-dessus ne constituent que quelques morceaux choisis au sein d'un ouvrage vivant, reflet d'une législation en mouvement. Nul doute que ces lecteurs se réjouiront de le parcourir et de retrouver la suite de ce feuilleton juridique dans une prochaine chronique.

Pascale BRACKENIERS
Juriste d'entreprise



Zenner (Alain), Faillites et concordats. Chronique de doctrine et de jurisprudence 1998-1999, Bruxelles, Editions De Boeck & Larcier (collection "Les dossiers du Journal des Tribunaux", n° 23), 2000, 134 p.