Le 06 mars 2008
        A propos du Liechtenstein
 

On n’attendra pas d’un ancien membre du gouvernement fédéral chargé notamment de la lutte contre la grande fraude fiscale, qu’il approuve la tenue de comptes occultes ouverts par les banques des paradis fiscaux pour aider des contribuables étrangers à éluder irrégulièrement l’impôt ! Loin de moi cette idée.

L’affaire de la LGT Bank, le groupe de gestion de patrimoine de la maison princière du Liechtenstein, appelle cependant diverses observations.


1) Est-il admissible de fonder des poursuites sur la corruption d’un ancien employé de cette banque, organisée par les services secrets allemands ? Car c’est bien cela que constitue l’achat - pour un montant qui dépasserait les 4 millions d’euros - de listes de titulaires de fondations anonymes gérées par cette institution ! Peut-on accepter, même pour la bonne cause, qu’un Etat se rende complice d’une divulgation de secrets d’entreprise pénalement sanctionnée ? Pour ce qui concerne la Belgique, faut-il autoriser l’utilisation de pièces obtenues par corruption et par recel ? Où irait-on dans pareille hypothèse ?

Il y a quelques jours à peine, on apprenait que le tribunal correctionnel de Liège avait renvoyé des poursuites à sa charge le Dr. Mouton, accusé en 2001 de complicité de dopage de sportifs et placé sous mandat d’arrêt pendant cinq mois, en jugeant ces poursuites irrecevables. Motif : l’ensemble de la procédure était fondée sur un moyen illégal, à savoir la dénonciation originelle à charge du Dr. Mouton par un autre médecin, en violation du secret professionnel de ce dernier.

Le principe suivi par le tribunal liégeois est absolu et s’applique quel que soit le plaignant, fut-il une administration publique. Si le fisc se prêtait à pareille pratique, il me paraîtrait aussi blâmable que le contribuable. On sait que dans l’affaire KBLux, le fisc belge a refusé d’acheter les données qui lui étaient proposées ; voilà, me semble-t-il, une attitude plus conforme aux principes de bonne administration. Et j’applaudis Frank Philipsen, mon ancien chef de cabinet, aujourd’hui patron de l’Inspection spéciale des impôts, qui, d’après La Libre Entreprise de samedi dernier, a déclaré : « Je ne connais pas les conditions par lesquelles les pays voisins ont obtenu ces listes. Ce que je sais, c’est que je ne travaille pas avec les services secrets ».


2) Que de nombreux contribuables de tous horizons disposent de comptes clandestins au Liechtenstein n’est pas une surprise ! Ce qui l’est plus, c’est que certains responsables politiques paraissent s’en offusquer alors qu’ils auraient pu, depuis longtemps, prendre des mesures plus énergiques pour mettre un terme à ces pratiques.

Pourquoi l’Allemagne, qui se déclare aujourd’hui déterminée à mettre la pression sur des pays comme le Liechtenstein, s’en est-elle abstenue jusqu’à présent ? On ne me dira pas que ce géant économique et ses associés au sein de l’OCDE ne disposent pas de la puissance suffisante pour exercer la pression nécessaire ? Pourquoi a-t-il été aussi difficile de négocier l’accord européen sur la fiscalité de l’épargne ? Et pourquoi s’est-on arrêté aux intérêts de l’épargne, laissant notamment de côté les revenus des produits d’assurance et des dividendes ? Je ne puis me défaire de l’impression que les autorités allemandes ne cherchent aujourd’hui autre chose qu’à reporter sur des boucs émissaires les exigences outrancières de taxation à 80% de la fortune que fait actuellement valoir l’extrême gauche de ce pays ou la remise en cause, plus compréhensible, des primes indécentes consenties à des dirigeants de grosses entreprises, souvent sans autre but que d’acheter leur silence.

Chez nous aussi, certains parlementaires populistes fusillent « les riches », en oubliant que l’ingénierie fiscale permet à ceux qui en ont les moyens de se mettre en toute impunité à l’abri du fisc et que ce sont souvent les classes laborieuses, plutôt que les fortunées, qui, pour des motifs divers pas toujours illicites, placent leurs économies à l’étranger. Chaque Etat est d’ailleurs le paradis de son voisin : voyez la chaleur avec laquelle nous accueillons nos voisins du Nord et du Sud qui fuient l’impôt sur la fortune en prenant ici une résidence qui est souvent fort proche de la fictivité.

 







 

3) Le maintien de certaines situations frauduleuses n’est pas étranger, du moins chez nous, à l’échec de la DLU, qui n’a rapporté en gros qu’un demi milliard d’euros sur les 850 prévus. Lorsque j’avais pris l’initiative de proposer une mesure d’amnistie fiscale en 2002, dans le livre-interview que Patrick Van Campenhout a publié chez Luc Pire sous le titre Le commissaire passe aux aveux, j’avais fondé mes espoirs sur le succès de l’exemple italien. Dans notre pays le P.S. a cependant tout fait pour saboter la DLU, qui a été condamnée par des conditions absurdes et une insécurité juridique totale. D’où sans doute, malgré les efforts de Didier Reynders, cette estimation, que je trouve surprenante tant elle est basse et dont je laisse la paternité à Thierry Afschrift, que ce ne serait que moins de 10% des capitaux expatriés qui seraient rentrés en Belgique dans le cadre de la DLU. J’ai souvent dit, et je répète, que ce n’est qu’avec un système fiscal et un niveau d’impôt correct que la fuite des capitaux pourra être arrêtée.


4) On ne le soulignera jamais assez : pour entraîner l’adhésion générale dans la lutte contre la fraude fiscale, il faut réconcilier les citoyens avec leur fiscalité. Ce qui suppose non seulement un niveau d’imposition acceptable, mais aussi des pratiques administratives très différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui.

Il faut aussi faire respecter l’autorité, ce dont on est loin quand on voit l’issue de la « saga Sagawé », dans laquelle la Région wallonne a tergiversé depuis vingt ans avant d’abattre une maison construite sans permis, et dont le ministre responsable vient par pur populisme de retarder la sanction jusqu’au décès des coupables ! Ou encore l’histoire de ce SDF qui s’est construit en toute impunité un petit habitat sur le trottoir jouxtant le palais royal de Laeken et que la Ville de Bruxelles n’ose pas expulser. Et imaginer des sanctions plus efficaces que des amendes impayables ou des peines de prison inexécutables, par exemple le retrait pénal du permis de conduire, l’interdiction bancaire ou la coupure du gsm. Mais ceci est un autre thème !


5) Dernière question : est-il normal que, comme la Suisse, les pays favorisés par les contribuables soucieux de discrétion à l’égard du fisc de leur pays de résidence reversent au pays de résidence – s’il a choisi ce système, comme la Belgique, plutôt que le système d’échange systématique d’informations - 15%, et bientôt 35%, sur les intérêts des fonds ainsi placés? Qui profite alors de ce qui est qualifié de crime, au même titre que le paradis fiscal lui-même ? Cela me fait penser à l’Etat qui taxe la prostitution ou qui s’enrichit du tabac en augmentant les accises au prétexte d’en réduire la consommation !

Il faut absolument passer sans tarder d’un système de retenue à la source à un système d’information réciproque systématique, tout en veillant à ce qu’il soit utilisable s’il était vrai qu’il est aujourd’hui entaché de défaillances.

J’ai d’ailleurs posé la question dès ma première conférence de presse en 2000 : pourquoi les banques belges ont-elles accepté de fournir aux fisc américain les renseignements exigés par ceux-ci tout en invoquant leur prétendu secret professionnel à l’égard du fisc belge ?

6) Un détail encore : je parle ici de fraude fiscale, et non de blanchiment lié à la grande fraude, à la criminalité fiscale grave et organisée. Je prends cette précaution, car c’est, je pense, la confusion entre les deux qui a entravé le projet que j’avais formé, alors que j’étais adjoint à Didier Reynders, d’enquêter sur le blanchiment dans le football.














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